Veille mondiale de la cryosphère – Des informations sur la glace de mer à l’appui de la science et de l’exploitation
- Author(s):
- Petra Heil, Penelope Wagner, Nick Hughes, Thomas Lavergne et Rodica Nitu

La glace de mer constitue un indicateur clé du changement climatique. Si les modifications la concernant ont des répercussions sur l’accès aux océans polaires et aux mers environnantes ainsi qu’à leurs ressources, elles constituent aussi un facteur important pour la sécurité de la navigation dans les hautes latitudes. En outre, l’évolution de la couverture de glace de mer a un impact sur la circulation océanique et les régimes météorologiques, localement et dans les moyennes et basses latitudes.
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L’échantillonnage in situ de la glace de mer et de la neige – ainsi que les observations océanographiques, atmosphériques et biogéochimiques coordonnées – fournissent des informations et des points d’ancrage essentiels qui permettent d’élaborer des produits dérivés des données télédétectées et de calibrer et valider les simulations numériques. (Photo: P. Heil) |
La Veille mondiale de la cryosphère (VMC) relevant de l’OMM met en œuvre une approche ciblée pour répondre aux besoins des Membres et de leurs partenaires en matière d’observation de la cryosphère, qui est une composante essentielle du système terrestre. Grâce à la VMC, les données cryosphériques peuvent être consultées et utilisées pour répondre aux besoins d’information. Les analyses et les indicateurs à valeur ajoutée peuvent s’appuyer sur les observations in situ, spatiales et aériennes et sur les modèles de la cryosphère, disponibles dans la base de données de la VMC, pour élaborer des produits et des services.
L’étude de la glace de mer est une activité hautement prioritaire de la VMC, qui cherche tout particulièrement à assurer la cohérence des observations y afférentes dans les régions polaires et à préserver l’accès à des données et des produits satellitaires bien compris sur la glace de mer – ces données revêtant une importance cruciale pour la prévision numérique du temps, la surveillance du climat et les services opérationnels. Ces activités de la VMC sur la glace de mer sont coordonnées avec les autres activités relatives à l’océan que mènent les Commissions techniques de l’OMM. En 2020, la VMC est devenue l’un des cogestionnaires du Groupe d’experts des observations océaniques pour l’étude du climat (OOPC)1, pour qui elle surveille la glace de mer en tant que variable océanique essentielle (VOE) et variable climatologique essentielle (VCE).
L’observation de la glace de mer est loin d’être un exercice de routine pour des raisons d’échelle, d’accès distant, de conditions d’exploitation extrêmes et des coûts élevés que ces facteurs impliquent. L’acquisition des données et leur évaluation ultérieure sont souvent morcelées entre les chercheurs, les universitaires et les exploitants. En outre, diverses questions liées aux observations de la glace de mer, à la normalisation et à l’utilisation des données ne sont pas entièrement résolues. Or, sous l’influence des prévisions et des décisions relatives à la navigation, à la recherche et au sauvetage, ainsi qu’aux services climatologiques et écosystémiques dans les régions polaires, on assiste à une augmentation de la demande d’informations en temps quasi réel et à résolution spatiale accrue sur la concentration des glaces de mer, leur épaisseur, leur pression, leur stade de développement, la présence d’icebergs et d’autres paramètres.
La VMC coordonne trois activités prioritaires liées à la glace de mer:
- L’harmonisation et la normalisation des observations de la glace de mer et des protocoles de rapport
- La définition cohérente des exigences en termes d’observation et leur diffusion auprès des diverses applications opérationnelles et scientifiques
- L’aide à la caractérisation des produits dérivés de données sur la glace de mer obtenues par satellite et la façon dont leur utilisation peut soutenir des applications spécifiques.
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Les instruments télécommandables non récupérables placés sur, dans ou sous la glace de mer, comme c’est le cas ici, fournissent des informations cruciales sur l’état de la glace de mer et de sa couverture neigeuse, ainsi que sur la façon dont elle évolue et se déplace en réponse au forçage atmosphérique et océanique. (Photo: P. Heil) |
La VMC travaille en étroite collaboration avec le Groupe des activités spatiales pour les régions polaires de l’OMM sur la troisième priorité. Les trois priorités cadrent avec les activités prévues dans le contexte de la Décennie des Nations Unies pour les sciences océaniques au service du développement durable.
Des protocoles d’observation et de rapport normalisés sont nécessaires pour compenser la rareté et le morcellement des données sur la glace de mer dans l’Arctique et l’Antarctique, et pour pouvoir fournir des données normalisées précisément caractérisées à l’appui de l’élaboration de modèles numériques et de produits de données de télédétection et de leur validation. Cela est rendu possible par les liens de collaboration établis avec d’autres programmes, auxquels la VMC apporte son concours. Citons, entre autres, les programmes du Système mondial d’observation de l’océan (GOOS), ceux gérés par les services relatifs à la glace de mer et des programmes de recherche établis de longue date, tels qu’Antarctic Sea Ice Processes & Climate (ASPeCt), IceWatch, l’Antarctic Fast Ice Network (AFIN), l’International Arctic Buoys Programme (IABP) et l’International Programme for Antarctic Buoys (IPAB). ASPeCt est un groupe expert de recherche pluridisciplinaire sur la zone de glace de mer de l’Antarctique qui travaille pour le programme de sciences physiques du Comité scientifique pour les recherches antarctiques (SCAR). Il coordonne la collecte des données recueillies par les navires dans l’océan Austral, l’étalonnage des données et la constitution d’un relevé d’observation. S’appuyant sur le réseau de données utilisant l’outil ASSIST (Arctic Shipborne Sea Ice Standardization Tool), mis au point dans le cadre du Projet relatif au climat et à la cryosphère (CliC) du Programme mondial de recherche sur le climat (PMRC), IceWatch a été adopté par l’Institut météorologique norvégien pour réunir et archiver les observations de la glace de mer dans l’hémisphère Nord. Enfin, le programme AFIN (Antarctic Fast Ice Network ) a pour objectif l’acquisition d’observations océan-glaces de mer-atmosphère dans les régions côtières de l’Antarctique.
Le recensement des besoins en matière d’observations de la glace de mer revêt un caractère prioritaire pour la VMC dans le contexte de l’équilibre à trouver entre les besoins de surveillance du temps et du climat et la demande de données en temps quasi réel (< 24 heures) et à résolution spatiale accrue (centaines de mètres). Les besoins recensés devront refléter les besoins des applications se rapportant aux activités de surveillance opérationnelle de la glace de mer, à la recherche et au sauvetage, ainsi qu’à la compréhension et à la maîtrise des effets dramatiques du changement climatique sur les écosystèmes polaires, ce qui englobe également la sécurité alimentaire, notamment des populations autochtones.
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Les instruments in situ fournissent des données à haute résolution spatiale et temporelle sur un ensemble de propriétés de la glace de mer qui sont essentielles pour comprendre les processus à l’origine de l’évolution de la glace qui déterminent les liens entre variations des propriétés de la glace de mer et forçage discret. (Photo: R. Steele) |
En parallèle, les besoins d’observation solidement documentés contribuent à faire évoluer les systèmes d’observation pour les régions polaires, qui sont fortement tributaires des observations par satellite. Les objectifs et la mise en œuvre des missions satellitaires ont besoin des apports des utilisateurs pour déterminer les investissements prioritaires, par exemple pour savoir si les satellites sont proches de leur fin de vie prévue et doivent être remplacés. Citons, à cet égard, l’appel à soutien signé par plus de 600 scientifiques de plus de 30 pays, qui vise à combler le manque anticipé de capacités d’altimétrie radar dans les régions polaires. Ce déficit de capacités et d’autres lacunes potentielles, si elles se concrétisent, entraîneraient des ruptures décisives dans les relevés à long terme de l’évolution de l’épaisseur de la glace de mer (et de la calotte glaciaire), à une période extrêmement cruciale où il importe de maintenir la continuité de la surveillance du climat pour mesurer les progrès accomplis vis-à-vis de l’Accord de Paris adopté au titre de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques. Cela souligne le rôle important de soutien de l’OMM, qui aide à cerner les besoins des utilisateurs et les principales lacunes pour éclairer les décisions sur les priorités des missions satellitaires, allant de la prévision des conditions météorologiques et océaniques à la surveillance de l’état des océans, des glaces et des vagues pour la sécurité de la navigation dans les régions polaires, en passant par la continuité des relevés climatologiques.
La cohérence des produits d’observation issus de diverses missions spatiales, et leur compatibilité avec les besoins des utilisateurs, sont essentielles. À cet égard, et en consultation avec la communauté internationale, la VMC a lancé une intercomparaison des produits satellitaires relatifs à l’épaisseur de la glace de mer et à la neige sur la glace de mer.
L’épaisseur de la glace constitue une mesure intégrée des changements du bilan d’énergie, tandis que la neige qui recouvre la glace de mer apporte une couche isolante essentielle. Cette dernière, lorsqu’elle est suffisamment épaisse comme dans l’Antarctique, peut contribuer au volume de glace de mer au travers de la formation de neige-glace. Ces paramètres sont cruciaux pour la prévision et la navigation dans les eaux polaires, car l’épaisseur de la glace de mer limite l’utilisation de navires de certaines classes de glace, et l’effet collant de la couverture neigeuse réduit l’efficacité du déglaçage. Bien qu’il existe de nombreuses méthodes d’extraction permettant d’estimer l’épaisseur de la glace de mer à partir d’un ensemble d’observations par satellite, estimer l’épaisseur de la neige sur la glace de mer reste un défi (GIEC, SROCC, 2019). L’intercomparaison devrait permettre de formuler des recommandations pour les futures missions spatiales et ainsi de combler les lacunes reconnues. La VMC assurera le pilotage scientifique du projet.
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Le déclin régulier de l’étendue de la glace de mer dans l’Arctique (a) et l’Antarctique (b), mis en évidence par plus de 40 ans de relevés de données satellitaires. L’image indique les rangs (de 1, le plus bas, à 43, le plus élevé) de l’étendue moyenne mensuelle de la glace de mer dans l’Arctique et l’Antarctique, respectivement. Les rangées/colonnes représentent les années/mois et les couleurs vont du bleu (le plus élevé) au rouge (le plus bas). (Réalisé à partir des données OSI SAF d’EUMETSAT, avec le concours des données de R&D de l’ESA CCI (avec l’aimable autorisation de T. Lavergne (Norvège)). |
Le Rapport spécial du GIEC sur l’océan et la cryosphère dans le contexte du changement climatique a montré qu’il était nécessaire d’adopter une approche coordonnée et globale pour observer et analyser les changements de la glace de mer. Le rapport notait que «les connaissances relatives aux interactions entre l’atmosphère et des éléments spécifiques de l’océan polaire et de la cryosphère [continuent de présenter] des lacunes importantes». Il indiquait encore que ces lacunes «... limitent la compréhension de la trajectoire que suivent et suivront les régions polaires et leurs systèmes climatiques». La VMC est bien placée pour encourager et coordonner les projets visant à combler ces lacunes et pour appuyer l’analyse des données obtenues et la publication des données et des résultats.
Footnotes
1 L'OOPC est coparrainé par le Système mondial d'observation du climat (SMOC) OMM/COI-UNESCO/CIS/PNUE, le Système mondial d'observation de l'océan (GOOS) COI-UNESCO et le Programme mondial de recherche sur le climat (PMRC) OMM/COI-UNESCO/CSP
Auteurs
Petra Heil, Scientifique, Division antarctique australienne et Université de Tasmanie (Australie)
Penelope Wagner, Scientifique, Institut météorologique norvégien, Norvège
Nick Hughes, Chef du Service norvégien des glaces, Institut météorologique norvégien, Norvège
Thomas Lavergne, Scientifique, Institut météorologique norvégien, Norvège
Rodica Nitu, Secrétariat de l’OMM
Références
GIEC, 2019: Résumé à l’intention des décideurs. In: Rapport spécial du GIEC sur les océans et la cryosphère dans le contexte du changement climatique (sous la direction de H.-O. Pörtner, D.C. Roberts,
V. Masson-Delmotte, P. Zhai, M.Tignor, E. Poloczanska,
K. Mintenbeck, M. Nicolai, A. Okem, J. Petzold, B. Rama et N. Weyer). Sous presse.
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AMAP, 2017. Snow, Water, Ice and Permafrost in the Arctic (SWIPA) 2017. Arctic Monitoring and Assessment Programme (AMAP), Oslo, Norvège. xiv + 269 p. ISBN 978-82-7971-101-8