L’hydrologie face aux enjeux mondiaux sur l’eau

18 avril 2019
  • Author(s):
  • Johannes Cullman, Département du climat et de l’eau, OMM

L’eau permet la vie, soutient le développement durable et subit l’une des pires menaces mondiales. Les crues et les sécheresses sont des risques courants. Elles méritent cependant qu’on s’y attarde car la pénurie et la mauvaise gestion de l’eau, dans les bassins transfrontières notamment, sont des sources de conflit. L’eau peut accentuer les facteurs de perturbation sociétaux et environnementaux, économiques et financiers. Pourtant, le cycle complexe qu’elle parcourt dans le milieu naturel renferme encore des zones d’ombre. Une multitude d’acteurs du secteur public ou privé auraient tout intérêt à recevoir des services hydrologiques, mais les milieux de l’hydrologie, de la météorologie et de la climatologie n’ont en fait qu’un nombre assez restreint d’utilisateurs. La réforme des organes constituants de l’OMM est une excellente occasion d’étendre ces services et de mieux contrer les menaces mondiales.

L’OMM occupe une position sans pareil en tant qu’institution spécialisée des Nations Unies pour tout ce qui concerne le temps, le climat et l’eau. Les compétences réunies au sein de la Commission d’hydrologie (CHy) aident les Membres à trouver des solutions dans les domaines de la prévention des catastrophes, l’agriculture, la gestion et la restauration des écosystèmes, la navigation, la production hydroélectrique et la gestion des eaux transfrontières. La Commission encourage aussi les recherches opérationnelles destinées à mieux comprendre les systèmes hydrologiques.

Des services morcelés

La prestation de services est extrêmement morcelée dans le secteur de l’eau. Cela vaut à l’échelon national pour l’administration, la science, la recherche et l’exploitation et se reflète à l’échelon régional, intergouvernemental et mondial dans la multiplicité et la diversité des acteurs – organisations non gouvernementales (ONG), associations de recherche, programmes, organismes des Nations Unies, etc.

Les prestataires de services répondent aux exigences particulières des différents usages et utilisateurs de l’eau:

•     Gestion en temps réel des crues et des épisodes de sécheresse et gestion intégrée des crues incluant la cartographie des zones inondées;
•     Gestion intégrée des ressources en eau dans les bassins versants nationaux et transfrontières;
•     Génie civil pour la conception d’éléments d’infrastructure;
•     Aménagement et gestion dans le domaine de l’agriculture, du drainage et de l’irrigation;
•     Gestion d’écosystèmes, telles les zones humides;
•     Conception et gestion des installations hydro-électriques;
•     Conception et gestion du transport fluvial;
•     Étude du climat, analyse des tendances et systèmes d’aide à la décision.

Les priorités de l’OMM en hydrologie

L’Organisation axe principalement son action sur les enjeux mondiaux dont traitent, entre autres, les objectifs de développement durable des Nations Unies, en particulier l’objectif 6 sur l’eau, le Cadre de Sendai pour la réduction des risques de catastrophe, l’Accord de Paris signé au titre de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques et la Convention sur la protection et l'utilisation des cours d'eau transfrontières et des lacs internationaux. En accord avec ces instruments, l’Équipe spéciale pour l’eau relevant du Conseil exécutif de l’OMM a fixé plusieurs priorités dans le domaine de l’eau.

Parmi ces priorités figure la communication en temps opportun par les autorités nationales de prévisions et d’avis de crue concernant la région ou le pays à toutes les populations menacées. Cela implique de tracer et d’actualiser des cartes d’inondation qui indiquent les mesures de protection et les risques résiduels. Les Membres doivent aussi établir et actualiser des plans de gestion des risques de sécheresse qui présentent les données et informations nécessaires, avec l’appui des centres régionaux. L’OMM doit mettre les données hydroclimatologiques et météorologiques au service de la sécurité alimentaire, en veillant à ce que la demande future d’eau pour la consommation humaine et l’irrigation concorde durablement avec la disponibilité et le stockage éventuel des ressources, ainsi qu’en donnant des conseils propres à optimiser l’agriculture en sec.

L’Équipe spéciale a salué le rôle joué par l’OMM en tant qu’autorité internationale capable de produire des données hydrologiques de grande qualité et de fournir les informations, produits et services correspondants; elle a estimé important de continuer à assurer la fourniture de tels services et de l’appui voulu aux Membres. L’OMM doit aussi veiller sans tarder à la maintenance et à l’amélioration des systèmes de suivi de tous les paramètres associés à l’hydrologie opérationnelle dans le monde. C’est indispensable pour procurer des informations qui optimisent les retombées des services, politiques et processus décisionnels actuels et futurs à l’échelon local, régional et mondial.

L’Équipe spéciale a fait valoir que l’Organisation devait s’attacher en priorité à soutenir le développement durable en produisant des informations hydrologiques qui aident tous les secteurs tributaires de l’eau, au profit d’une gestion optimale des ressources. Enfin, elle a souligné que l’OMM devait aider à résoudre les problèmes liés à la détérioration de la qualité de l’eau et qu’il fallait surveiller en permanence les eaux de surface et les eaux souterraines afin de garantir leur qualité et la prise de mesures correctrices au besoin.

 
Survery Survey

Principes fondamentaux et conditions nécessaires

L’Équipe spéciale a énuméré une série de principes qui permettront à l’Organisation d’atteindre ses objectifs prioritaires en hydrologie. Le premier, socle de l’action engagée par l’OMM, est l’accès libre et gratuit à des données et informations hydrologiques de grande qualité, d’origine publique ou privée. Il faut également que les disciplines, jeux de données, modèles et systèmes de gestion des risques, quelle que soit leur échelle, soient compatibles et reliés entre eux pour améliorer les capacités d’analyse et d’optimisation. Toutes les possibilités qu’offre la révolution numérique doivent être mises au service de la science, de l’exploitation et de la communication. L’innovation et la technologie devraient servir à perfectionner les systèmes de préparation et de diffusion des connaissances et à multiplier les sources d’information. Il faut développer de toute urgence des services hydrologiques d’intérêt général durables, dotés d’un haut degré de priorité. Cela exige de définir clairement les rôles et les responsabilités, de partager l’information et d’assurer un financement viable. De nouveaux acteurs doivent intégrer la chaîne de valorisation qui relie les données aux services hydrologiques afin d’évaluer et d’inclure les informations utiles à la population et aux parties privées.

Les conditions suivantes doivent être satisfaites pour atteindre les priorités arrêtées par l’Équipe spéciale:

  • Les capacités des entités nationales et régionales sont connues – Un suivi exhaustif des capacités doit être convenu et exécuté de façon systématique;
  • Les chaînes de valorisation qui relient les données aux produits et aux services hydrologiques sont clairement établies – Les produits et les services requis doivent être définis à l’échelon local, national et régional et l’OMM doit donner des exemples à suivre;
  • Les problèmes de capacité sont résolus – Les capacités insuffisantes au sein des Membres pour atteindre les buts et les principes susmentionnés sont évaluées et des activités de renforcement des capacités sont organisées dans le but d’y remédier.
  • La coopération est encouragée et favorisée – La coopération doit reposer sur une compréhension commune et viser à optimiser les avantages pour l’ensemble du système, de manière que tous les acteurs clés en bénéficient.
  • Les politiques reconnaissent les liens entre le développement économique et l’infrastructure hydrologique – Les actions des hauts responsables nationaux confirment l’importance des données et informations hydrologiques, qui sont considérées comme indispensables à la prospérité économique et au bien-être de la population.
  • Les Membres sont invités à adopter une politique d’accès libre aux données – L’OMM doit continuer de faciliter l’échange des données hydrologiques par les utilisateurs afin de renforcer la surveillance, l’analyse et la communication de la consommation réelle d’eau.

La Commission d’hydrologie a largement aidé à coordonner les activités visant à faire progresser tous les maillons de la chaîne de valorisation hydrologique. Elle a joué un rôle de premier plan en faveur de l’hydrologie opérationnelle dans l’ensemble de la communauté internationale, dont les instances de l’ONU, les organisations non gouvernementales, le secteur privé et les organisations gouvernementales. Le Groupe de haut niveau sur l’eau des Nations Unies a cédé récemment à l’OMM la direction de l’Initiative mondiale sur les données relatives à l’eau, permettant aux Membres de continuer à participer aux projets et à mettre leurs compétences au service de l’analyse des questions et des possibilités futures. Cependant, l’élan nécessaire pour prendre en main les enjeux mondiaux en hydrologie est venu de l’approche intégrée que doit apporter la réforme des organes constituants de l’OMM.

La réforme de l’OMM et l’hydrologie

Il ressort de ce qui précède que la contribution de l’OMM à l’hydrologie se fait dans deux grands domaines:

1.    Fourniture de produits utiles de grande qualité et assurance de la qualité pour les tiers, grâce aux compétences sans équivalent de l’OMM et de l’ONU et à une série de règles largement reconnues;

2.    Collaboration et coordination concrètes qui renforcent l’utilité et la viabilité des activités entreprises et des résultats obtenus.

L’apport crucial de l’OMM à l’hydrologie opérationnelle comprend le développement et la mise en œuvre de systèmes coordonnés à l’échelle mondiale pour l’acquisition, le traitement, la transmission et la diffusion des observations du système terrestre, accompagnés des normes voulues. En outre, la fourniture de services et d’applications sur le temps, le climat, l’eau, l’océan et l’environnement harmonisés à l’échelle mondiale soutient la prise de décisions éclairées et la concrétisation d’avantages socio-économiques pour tous les utilisateurs et la société dans son ensemble.

Le resserrement de la coordination interne et les gains d’efficacité qui découleront de la réforme des organes constituants de l’OMM aideront à se rapprocher des nombreux et divers bénéficiaires des services hydrologiques.

Une collaboration transsectorielle plus étroite dans tous les domaines d’activité de l’Organisation ciblera particulièrement les aspects suivants:

  • Réglementation et normalisation, avec une approche unifiée pour le temps, le climat et l’eau;
  • Mise au point de services de certification OMM;
  • Mise au point de systèmes d’alerte précoce multidanger;
  • Liaison des services climatologiques et hydrologiques à l’échelle mondiale, régionale et nationale;
  • Fourniture d’informations sur l’état présent et futur du système terrestre à partir de l’analyse du cycle hydrologique complet;
  • Amplification des synergies dans les travaux de recherche appliquée;
  • Coordination des activités de formation et de renforcement des capacités.

La majorité des activités conduites en hydrologie se rattacheront aisément à l’une ou l’autre des deux commissions techniques créées par la réforme des organes constituants de l’OMM. Ainsi, les observations, les infrastructures et les systèmes d’information hydrologiques, tels l’HydroHub et ses composantes, reviendraient naturellement à la Commission des observations, des infrastructures et des systèmes d’information. Quant aux activités touchant les services hydrologiques, telle l’Initiative sur la prévision des crues et ses composantes, elles s’inséreraient dans la Commission des services et applications.

Water survey

La réflexion doit se poursuivre quant à la représentation et à la coordination thématique des activités transsectorielles de bout en bout, par exemple le développement des capacités visant l’HydroSOS et le Cadre de référence pour la gestion de la qualité – Hydrologie, qui ont trait à la fois aux observations, aux infrastructures et aux services. D’autre part, certaines activités intéressent uniquement l’hydrologie – tels le projet visant à évaluer le fonctionnement des instruments et des techniques de mesure de l’écoulement, l’élaboration d’un manuel sur les transports solides ou les directives sur les flux écologiques. Toutes ces activités exigent une fonction de coordination qui peut faire partie des travaux préparatoires du Congrès.

La réforme des organes constituants de l’OMM consolidera l’approche globale que prône l’Organisation dans toutes ses activités, ainsi qu’au sein des Membres, concernant l’hydrologie, la climatologie et la météorologie. Les autres organismes des Nations Unies et les instances internationales, le secteur privé et les ONG qui s’emploient à lier le développement durable et la gestion des ressources en eau percevront eux aussi les avantages de l’intégration.

Conclusions sur la réforme et l’hydrologie

La réforme de l’OMM est l’occasion d’étendre l’appui offert aux hydrologues et aux utilisateurs dans le monde entier. Elle rehaussera l’image, l’apport et la participation des milieux de l’hydrologie aux activités et structures de l’Organisation. La part prise par celle-ci, et par ses contributions, au programme mondial d’action sur l’eau en sera renforcée. La réforme donnera aux milieux de l’hydrologie la possibilité de mieux répondre à la demande d’informations et de services que leur adressent les ONG, les instituts de recherche, le secteur privé et les parties gouvernementales intéressées, en particulier les organismes nationaux de prévention des catastrophes.

L’unification des procédures et des mécanismes rendra l’action de l’OMM plus efficace et permettra de procurer des produits de grande valeur. La réforme aura bien d’autres effets positifs. Grâce à l’intégration des activités le long de la chaîne de valorisation météorologique, elle veillera à ce que l’approche actuelle des questions liées aux ressources en eau soit sauvegardée et à ce que la diversité des besoins hydrologiques soit représentée dans la nouvelle structure. De nombreux aspects de l’hydrologie sont fortement politisés – l’évaluation et la gestion des eaux transfrontières, par exemple – et le mandat confié à l’OMM en tant qu’autorité internationale sert de base à la représentation des nations dans ce domaine.

L’objectif de l’Organisation est de faire en sorte que les parties intéressées puissent prendre des décisions éclairées concernant la gestion des ressources en eau, les infrastructures et les situations d’urgence. Les utilisateurs de services hydrologiques doivent donc bénéficier d’une structure qui leur permet de communiquer leurs exigences, de prendre part aux décisions et de recevoir l’appui dont ils ont besoin. Les spécialistes de l’hydrologie à l’OMM devraient mettre à profit la réforme pour revoir les mécanismes et les modes de fonctionnement actuels. La démarche engagée répond aux enjeux nationaux, régionaux et mondiaux sur l’eau par la mobilisation des compétences et l’élargissement des possibilités de partenariat, tout en offrant aux Membres de nouvelles solutions de nature politique, technologique et éducative.

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