La réforme des organes constituants dans l’optique des données et des systèmes

17 avril 2019
  • Author(s):
  • Sue Barrell, Coordinator for Emerging Data Issues, Commission for Basic Systems (CBS) and former Vice-President, CBS

Les données sont indispensables aux travaux de l’OMM, tout comme les systèmes et les procédures précises qui servent à les recueillir, comparer, échanger, traiter et utiliser. En ce sens, les données ont façonné l’orientation de l’Organisation et les activités des États et territoires Membres dès le départ. La Veille météorologique mondiale (VMM) par exemple, considérée comme l’une des grandes réalisations de l’OMM, a découlé de la capacité d’obtenir des données mondiales grâce aux satellites météorologiques; elle représente un modèle inégalé à ce jour de coopération entre pays et entre institutions. 

Le développement progressif des systèmes de l’OMM a plus ou moins suivi l’évolution, voire la révolution, survenue dans le domaine des données et des technologies. La structure de la VMM et les alliances entre les groupes de Membres, pour l’exploitation des satellites ou la modélisation numérique par exemple, se sont adaptées à ces changements en vue de profiter à l’ensemble de la communauté. La VMM a entrepris une nouvelle modernisation. Ses composantes de départ, soit le Système mondial d’observation, le Système mondial de télécommunications et le Système mondial de traitement des données et de prévision, composeront le Système mondial intégré des systèmes d’observation de l’OMM (WIGOS), le Système d’information de l’OMM (SIO, bientôt dans sa version 2.0) et le Système mondial de traitement des données et de prévision sans discontinuité. 

La révolution touchant les données et les technologies change depuis dix ans, tant sur le plan des acteurs que du rythme des innovations et des ruptures technologiques. Aujourd’hui, un large éventail de membres du secteur public, du secteur privé et du monde universitaire élaborent, fournissent et utilisent des données et des technologies ou procurent des services aux utilisateurs. Ces derniers n’ont pas été insensibles à cette révolution. Percevant l’intérêt que présentent les données sur le temps, le climat et l’eau, ils en sont venus à les intégrer à leurs propres données dans les systèmes d’aide à la décision. 

Auparavant, la chaîne de valorisation des données était plutôt linéaire: les utilisateurs formulaient leurs attentes et les fournisseurs trouvaient des moyens d’y répondre (données, systèmes, procédés, services, produits). Elle est aujourd’hui beaucoup plus interactive: les utilisateurs et d’autres acteurs participent à la définition du problème et à la conception, la mise au point, l’exploitation et la fourniture des solutions et, dans une certaine mesure, des données elles-mêmes (voir l’illustration). 

ValueChainFR

La chaîne de valorisation, autrefois linéaire, est passée à une organisation interactive dans laquelle les utilisateurs participent beaucoup plus à la fourniture des données et à l’élaboration et la mise en œuvre conjointe des solutions. 

Nous examinerons ici trois des nombreux effets de ces transformations:

  • Le volume de données disponibles a considérablement augmenté; 
  • Le rythme des ruptures semble plus rapide que jamais; 
  • Les organes constituants et les programmes de l’OMM doivent être adaptés aux besoins et à l’avenir.
Plus de données que jamais

La pénurie d’informations qui sévissait avant la VMM a été remplacée par un déluge croissant de données à mesure que les satellites météorologiques comblaient la plupart des lacunes des réseaux mondiaux (même s’il en existe encore). Parallèlement, les progrès dans les techniques de calcul et les avancées scientifiques ont permis une amélioration soutenue de la modélisation numérique, rapprochant les capacités de prévision dans l’hémisphère Nord et l’hémisphère Sud. La réponse apportée par les milieux satellitaires aux nouveaux besoins et la concordance permanente entre l’offre et l’application ont grandement contribué aux réalisations de l’OMM. C’est grâce à cela que les Services météorologiques et hydrologiques nationaux (SMHN) des Membres peuvent élaborer des services qui assurent la protection et la sécurité des communautés, des infrastructures et des environnements et qui favorisent le bien-être et la prospérité des populations. 

L’expression «tsunami de données»décrit sans doute bien l’univers dans lequel évolue l’Organisation aujourd’hui, qui peut choisir parmi un volume considérable de données, mais aussi parmi une diversité de données qui sont disponibles plus rapidement et plus facilement. La qualité des données, et leur utilité pour les Membres, est tout aussi variée. De grandes lacunes persistent, surtout dans les pays isolés et peu avancés; des solutions existent dans la plupart des cas, quoiqu’elles entraînent souvent des coûts très élevés d’acquisition et d’exploitation. 

Le défi est de transformer le tsunami en un flux ordonné. Pour cela, les Membres doivent être en mesure d’effectuer des choix stratégiques quant aux données et produits dont ils ont besoin pour diverses applications. Ils doivent recevoir des conseils pour bien planifier les réseaux d’observation. L’Organisation doit les aider à déterminer où les investissements publics dans l’observation à long terme seraient les plus utiles et à apprécier l’intérêt de conclure de solides partenariats avec d’autres instances nationales et avec les acteurs de l’entreprise météorologique mondiale. 

Le rôle pilote de l’OMM est crucial pour préserver et consolider le succès de la VMM, en passant à la version 2.0, et s’assurer de continuer à servir les Membres. Le Dix-huitième Congrès météorologique mondial envisagera, en juin 2019, le passage du WIGOS au stade opérationnel. Ce dernier définit un cadre pour faire des choix éclairés concernant les données, les réseaux et les partenariats à l’appui des besoins des utilisateurs, de l’échelon local à mondial. Le WIGOS est beaucoup plus qu’une évolution du SMO, il constitue une nouvelle façon d’aborder les questions relatives aux observations et aux données dans l’optique des différents services et domaines d’application de l’OMM et de ses partenaires. La mise en place du Réseau d’observation de base mondial montre comment le WIGOS aide à refaçonner les dispositifs mondiaux d’observation dont a besoin l’Organisation (voir l’encadré).

Le principe fondamental de l’échange international libre et gratuit des données et des produits météorologiques et apparentés, tel qu’il figure dans les résolutions 40, 25 et 60, fait partie intégrante du fonctionnement de l’OMM en tant qu’instance mondiale de collaboration et suscite l’envie de nombreuses organisations internationales. La situation a énormément changé depuis l’approbation de la résolution 40 en 1995. Parallèlement à la création du Réseau d’observation de base mondial, il est crucial d’analyser, d’actualiser et d’affermir ces règles afin d’assurer leur pertinence, leur portée et leur utilité; on garantira ainsi le bon fonctionnement et l’efficacité de la collaboration au sein de l’entreprise météorologique mondiale qui gagne en ampleur.

Rupture

On entend par là un changement technologique radical qui rend rapidement obsolètes les applications, méthodes et procédures antérieures. Les technologies innovantes peuvent susciter des craintes au sein des organismes qui prennent du temps à s’adapter, mais élargir les capacités des organismes plus souples qui sont en mesure d’en profiter. Le numérique (services Internet, large bande fixe et mobile, informatique en nuage, etc.) a déjà modifié la manière dont les Membres et les prestataires de services météorologiques et hydrologiques rassemblent et échangent des données, extraient des enseignements et procurent des services. Il a également changé la façon dont les utilisateurs obtiennent, appliquent et intègrent les données et services qu’ils reçoivent. Les nouvelles technologies en matière de données (Internet des objets, analyse des mégadonnées, apprentissage automatique, systèmes autonomes, etc.) continueront d’introduire des ruptures dans tous les secteurs de l’économie et de l’industrie. 

À bien des égards, la préparation aux ruptures concerne moins les technologies et les systèmes eux-mêmes que l’anticipation de la réaction des utilisateurs aux difficultés et aux possibilités qui les accompagnent. Pour les Membres, le principal impact de la rupture numérique surviendra sans doute dans le secteur des services. Ils devront s’ajuster à l’évolution des besoins et des capacités des utilisateurs, ainsi qu’à la nouvelle façon dont ceux-ci incorporent les données issues de sources multiples dans leurs systèmes de prise de décision. 

La souplesse et l’efficacité dans les relations tissées avec les utilisateurs et les partenaires – et dans la fourniture des meilleures connaissances scientifiques qui soient pour améliorer les services – seront de plus en plus importantes à l’échelon de l’OMM et des Membres. Les solutions basées sur «les données et systèmes» cèdent la place au paradigme de «la science au profit des services». On cible moins la recherche de solutions à des applications particulières, les approches globales et intégrées semblant plus prometteuses. Il est tout aussi important, pour préserver la qualité des services, de compléter la démarche scientifique classique par les techniques modernes d’extraction d’informations à partir des données. Le projet de Plan stratégique de l’OMM pour la période 2020-2023 reflète cette nouvelle approche, tout comme les changements que l’on envisage d’apporter aux organes constituants de l’OMM. 

Le Réseau d’observation de base mondial​

La prévision du temps est une opération beaucoup plus quantitative qu’au tout début de la Veille météorologique mondiale. Elle fait aujourd’hui appel à d’imposants modèles numériques qui ingèrent les millions de données relevées par une multitude d’instruments de mesure dans l’espace, en altitude, au sol et dans l’océan. En dernière analyse, la prévision numérique du temps (PNT) à l’échelle mondiale forme l’assise de tous les produits quantitatifs de prévision du temps et d’analyse du climat, jusqu’aux échelles spatiales et temporelles les plus fines. Elle est le point d’appui de tout ce que fait un Service moderne de météorologie et de climatologie. 

La qualité des produits de la PNT mondiale est tributaire d’un accès ininterrompu aux observations réalisées sur l’ensemble du globe. Les satellites, par la couverture planétaire des paramètres de l’atmosphère et de la surface, contribuent de manière décisive aux capacités de la PNT. Les observations en surface restent nécessaires pour suivre certaines variables clés que l’on ne peut mesurer avec fiabilité à partir de l’espace, au nombre desquelles figurent la pression atmosphérique près du sol, la répartition verticale des vents et les paramètres sous la surface des océans. Les mesures effectuées au-dessus des océans et des surfaces enneigées et glacées sont essentielles et revêtent toujours une grande utilité pour l’étalonnage et la validation des données satellitaires. 

L’absence de mesures sur une partie quelconque du globe nuit à la qualité des produits de prévision et d’analyse dans le monde entier. L’insuffisance ou l’inactivité de stations d’observation, les pannes de télécommunication ou les politiques nationales très restrictives en matière de données empêchent les Services météorologiques nationaux de fournir les meilleures informations et alertes possible. Soucieuse de régler ces difficultés et de résoudre les problèmes dus à la densité insuffisante des réseaux et à l’absence de communication des stations, l’OMM a décidé en juin 2018 (à la soixante-dixième session du Conseil exécutif) de mettre en place le Réseau d’observation de base mondial (ROBM) et d’élaborer les textes réglementaires correspondants. 

Les dispositions relatives au Réseau reposent sur les exigences de la PNT mondiale récemment définies par les experts de l’OMM. S’appuyant sur les premiers résultats fournis par le Système de contrôle de la qualité des données du WIGOS et sur les vingt années d’étude de l’incidence des données d’observation pour la PNT coordonnées par l’Organisation, ces dispositions énoncent en termes clairs et quantitatifs les obligations d’acquérir et d’échanger ces observations cruciales qui incombent aux Membres. Elles précisent les variables à observer, la fréquence de mesure, la résolution horizontale et verticale exigée et les techniques de mesure adaptées. Le concept initial du ROBM et les textes réglementaires seront soumis à l’approbation du Dix-huitième Congrès météorologique mondial en 2019. Ils pourront être complétés ultérieurement de sorte à englober un large éventail d’applications et d’exigences.

Une structure adaptée aux besoins et à l’avenir

Les organes constituants de l’Organisation ont servi les Membres avec efficacité, mais ils ne parviennent pas à soutenir l’action de ces derniers alors que se transforme la prestation des services météorologiques et hydrologiques. Ils ne les aident pas à avancer et faire des choix dans l’océan des données et des systèmes peuplé d’une diversité croissante d’acteurs. Le temps est venu de privilégier une approche globale et intégrée, alignée sur un élément central de la stratégie de l’Organisation – l’approche axée sur le système Terre. En conséquence, il faut tisser des liens plus étroits entre les données, systèmes, connaissances, services, processus et experts de l’OMM et la vaste communauté des parties prenantes – fournisseurs, partenaires, utilisateurs, éventuels concurrents.

Les travaux entourant le WIGOS, de l’élaboration à la mise en œuvre, ont mis en lumière la nécessité d’adopter une nouvelle approche en matière de données, au sein de tous les services et domaines d’application de l’Organisation. L’intégration doit être renforcée, sur le plan des jeux de données bien sûr, mais aussi du point de vue de l’évaluation des besoins et de l’étude des chaînes de valorisation et de fourniture des données et au-delà. L’obligation de former un groupe de coordination intercommissions pour définir le concept du WIGOS révélait la nécessité de moderniser la structure de l’Organisation. Il fallait rassembler et canaliser les forces quelque peu cloisonnées des commissions techniques et des programmes afin de parvenir à un concept global. Il fallait aussi resserrer les relations de travail avec les conseils régionaux, de la conception du Système à sa mise en place concrète, en mettant pleinement à profit les compétences de leurs experts dans ces deux domaines. 

Les délibérations concernant les organes constituants ont surtout porté sur les commissions techniques et sur la simplification du fonctionnement du Conseil exécutif; une bonne mise en œuvre exige toutefois de modifier les pratiques des conseils régionaux et les structures d’appui aux programmes. Il est indispensable de rationaliser les organes de travail des conseils régionaux et d’améliorer la coordination avec les nouvelles commissions techniques. Une concordance étroite en résultera, les experts régionaux participant aux activités des commissions techniques et les commissions techniques aidant à établir les systèmes et règlements à l’échelon régional et national. Il ne sera pas facile de mettre en place la nouvelle structure – en particulier de regrouper les huit commissions techniques spécialisées en deux commissions et un conseil de la recherche. La démarche sera beaucoup plus aisée et fructueuse si les systèmes d’appui du Secrétariat et les programmes de l’OMM sont eux aussi remaniés sans tarder en accord avec les changements apportés aux organes constituants et avec le nouveau Plan stratégique. 

Conclusion

Après la réforme de ses organes constituants, l’OMM sera en meilleure posture pour profiter d’un avenir riche en données et en ruptures technologiques, dans le souci de mettre la science au profit des services. Son ascendant et son pouvoir fédérateur au sein de l’entreprise météorologique mondiale seront affermis par la nouvelle structure, qui lui permettra de se rapprocher des utilisateurs et des partenaires intéressés par ses domaines de compétence. Les changements apportés reflètent également l’importance de créer une chaîne de valorisation interactive et intégrée, dans un monde qui perçoit mieux la nécessité de comprendre et de préserver notre planète tout en répondant aux besoins de l’ensemble des citoyens.

 
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