Examen du Programme mondial de recherche sur le climat: Orienter les travaux pour le XXIe siècle
- Author(s):
- Julia Slingo, ancienne directrice scientifique, Service météorologique du Royaume-Uni

Depuis la parution en 1990 du premier Rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), des dizaines de milliers de chercheurs ont uni leurs forces afin de démontrer par la science que le climat de la Terre évolue et que la majorité des changements observés sont dus aux activités humaines. Il n’était jamais arrivé qu’un si grand nombre de scientifiques soient prêts à coordonner leur action et à affecter leurs ressources à une question mondiale aussi fondamentale pour la société et l’économie. Les chiffres sont vertigineux: la préparation du cinquième Rapport d’évaluation du GIEC a généré 2 pétaoctets de données de simulation du climat et plus de 850 experts de 55 pays ont analysé au-delà de 9 200 articles consacrés aux aspects physiques du climat. C’est sur la base de ce rapport que plus de 190 pays ont signé à Paris, en 2015, l’accord qui vise contenir le réchauffement planétaire à 2 °C et, si possible, 1,5 °C.
On sait moins bien que rien de cela n’aurait été possible sans le Programme mondial de recherche sur le climat (PMRC). Les travaux exécutés dans ce cadre ont guidé l’élaboration, la coordination et la diffusion des scénarios climatiques qui soutiennent les évaluations du GIEC. Ils ont eu d’énormes retombées sur la compréhension du changement climatique et ont permis à une multitude de chercheurs de contribuer aux activités du GIEC.
Le PMRC a été établi en 1980 sous le parrainage conjoint de l’OMM et du Conseil international pour la science et, depuis 1993, de la Commission océanographique intergouvernementale de l’UNESCO. Dès sa création, le Programme s’est intéressé à la recherche de pointe sur la physique du climat. Sa mission est de déterminer dans quelle mesure il est possible de prévoir le climat et à quel point les activités humaines influent sur ce dernier.
Bien que le PMRC ne finance pas directement les recherches, son action est décisive pour faciliter et intégrer les travaux menés à bien dans des domaines où la coordination internationale est indispensable aux avancées scientifiques. Il fait en sorte que les milieux de la climatologie adhèrent et contribuent à son programme de travail et veille, en retour, à ce que ceux-ci tirent des avantages de leur participation à ses activités. Le PMRC jouit d’un large et solide appui au sein de la communauté scientifique, qui reconnaît et valorise la possibilité qui lui est donnée de collaborer dans le plus grand intérêt de la science. En rassemblant des initiatives internationales, il exerce un puissant effet de levier sur les financements nationaux. Ainsi, le sixième Rapport d’évaluation du GIEC attendu en 2020 mettra à profit les résultats de recherches nationales évaluées à plus de 4 milliards de dollars É.‑U.
Les organismes de parrainage du PMRC ont demandé que le Programme soit examiné en profondeur à l’approche de son quarantième anniversaire, afin de s’assurer qu’il pourra répondre avec efficacité à la demande d’informations climatologiques à toutes les échelles spatio-temporelles au cours du XXIe siècle. Le rapport de l’étude, publié en septembre 2018, renferme des recommandations concernant la façon dont le Programme et les organismes de parrainage devraient planifier l’avenir et garantir que les recherches fondamentales continuent de servir la société.
Le PMRC, plus nécessaire que jamais
Il pourrait être tentant, après l’Accord de Paris, de conclure que la recherche sur le climat a répondu aux questions posées – le monde se réchauffe et nos activités en sont la cause – et qu’il ne reste plus qu’à mettre au point des techniques pour réduire les sources et les effets du réchauffement. Au contraire, l’examen du PMRC fait valoir que l’on a plus que jamais besoin des connaissances scientifiques de base que le Programme aide à fournir. L’urgente nécessité de se prémunir des conséquences du changement climatique (Accord de Paris), d’atténuer les risques et d’accroître la résilience face aux catastrophes (Cadre de Sendai) et d’assurer un développement viable de la planète (objectifs de développement durable des Nations Unies) rehausse l’importance de la recherche sur le climat que coordonne le PMRC.
Nous vivons dans une économie mondialisée fondée sur le commerce international, l’efficacité des réseaux de transport et un approvisionnement sûr et fiable en nourriture, énergie et eau. Tous ces systèmes sont vulnérables à des conditions météorologiques et climatiques extrêmes. La pression supplémentaire exercée par le changement climatique crée de nouvelles circonstances et de nouveaux défis. Au cours du siècle, l’exposition aux risques issus de la variabilité et de l’évolution du climat sera aggravée par la poussée démographique, l’urbanisation croissante et la nécessité de fournir de la nourriture, de l’eau et de l’énergie à tous. Nous devons bâtir des sociétés résilientes, prêtes à affronter les risques liés au temps et au climat. Nous devons aider les gouvernements et les entreprises à investir de façon avisée dans l’adaptation. Nous devons guider la mise en œuvre des mesures d’atténuation pour éviter des changements climatiques dangereux. Sans une ferme assise scientifique, aucun de ces défis ne pourra être relevé de manière solide, efficace et durable.
Viser la continuité temps–climat
La connaissance du climat a énormément changé depuis la création du PMRC. Les progrès réalisés dans la science fondamentale, l’observation du système climatique et les simulations complexes, alliés à l’emploi de technologies de pointe tels les satellites et les superordinateurs, ont révolutionné notre compréhension des phénomènes météorologiques et climatiques. Cela a permis de prévoir avec toujours plus d’exactitude le temps et le climat à venir. La climatologie d’aujourd’hui fait appel à de nombreuses disciplines outre la météorologie, dont l’océanographie, la chimie, la biologie et bien d’autres. Les modèles du climat ne se limitent plus au système climatique physique, ils englobent de plus en plus les processus du système terrestre, tel le cycle du carbone.
Parallèlement, le besoin d’informations climatologiques à toutes les échelles spatiales et temporelles a mis en évidence le fait que la science du temps est cruciale pour la science du climat, que les mêmes éléments de météorologie s’appliquent aux deux. Il sera de plus en plus important de percevoir la continuité entre la prévision du temps et la projection du climat. Après tout, on sait que les effets du changement climatique prendront surtout la forme de conditions météorologiques à fort impact telles qu’inondations, ondes de tempête et vagues de chaleur. Il faut donc resserrer fortement la collaboration entre les deux disciplines, faire concorder davantage leurs activités de recherche fondamentale, d’élaboration de modèles et d’anticipation des conditions futures.
Le PMRC a toujours organisé ses activités autour de quatre grands projets, centrés chacun sur un domaine primordial du système terrestre – l’atmosphère, les terres émergées, l’océan et les glaces (la cryosphère). Ils ont été fructueux et ont permis des avancées majeures comme la compréhension de la chimie et de la dynamique du trou dans la couche d’ozone, la capacité d’observer, de comprendre et de prévoir le phénomène El Niño ou l’évaluation du rôle joué par la fonte des glaciers et des inlandsis dans l’élévation du niveau de la mer. L’examen du Programme a néanmoins conclu que la structure et le but de ces projets risquaient de ne plus convenir face au besoin d’une approche globale du système terrestre et d’une science sans discontinuité du temps et du climat. La société d’aujourd’hui a besoin de connaissances et de services qui s’étendent de l’échelle mondiale à l’échelle locale.
Une mission cruciale inchangée
La double mission du PMRC – déterminer dans quelle mesure il est possible de prévoir le climat et à quel point les activités humaines influent sur ce dernier – devrait constituer encore le fondement des travaux à venir. Il faudra néanmoins adopter une vision globale du système climatique, rapprochant ses éléments distincts et analysant les liens synergiques entre le temps, la variabilité du climat et le changement climatique.
S’agissant du premier volet – la capacité de prévoir le climat – on sait maintenant que de nombreux facteurs outre les océans conditionnent la variabilité du climat sur une échelle mensuelle à décennale, dont le soleil et d’autres composantes du système climatique. Pour trouver des signaux utiles, il faut réunir tous ces éléments dans les systèmes de prévision et découvrir comment chacun interagit avec le système dans son ensemble pour renforcer ou amoindrir la prévisibilité. L’atmosphère et l’océan sont des fluides dynamiques qui peuvent transmettre les signaux présents dans une partie du système à une multitude d’autres emplacements autour du globe. Il reste difficile de démêler les processus dynamiques subtils de ces téléconnexions et modes de variabilité, mais il est crucial d’y arriver pour comprendre la volatilité changeante du temps et du climat qui accompagne le réchauffement planétaire.
Le deuxième volet – l’incidence des activités humaines – pose certaines questions de fond sur la sensibilité du climat et sur la manière dont notre compréhension de cet aspect évoluera lorsque seront pris en compte de nouveaux phénomènes de rétroaction du système terrestre, par exemple les cycles du carbone et de l’azote, ainsi que la fonte du pergélisol. La fréquence des phénomènes météorologiques et climatiques extrêmes semblant augmenter d’année en année, il est inévitable de s’interroger sur le rôle du changement climatique. L’attribution d’événements précis avec un certain degré de fiabilité n’en est qu’à ses débuts. Le domaine est délicat, mais il est essentiel de progresser pour guider l’investissement dans l’adaptation et bâtir des sociétés plus résilientes. Il va sans dire, par ailleurs, que le Programme doit continuer à occuper une place centrale dans les travaux du GIEC, en coordonnant l’élaboration, la fourniture et l’évaluation des scénarios climatiques. Il mettra à profit les plus récentes connaissances scientifiques et capacités de modélisation disponibles pour orienter les mesures d’adaptation et d’atténuation, ainsi que pour étayer les accords internationaux sur les réductions des émissions.
Le PMRC devra s’appuyer sur un troisième pilier afin d’accomplir sa mission cruciale, à savoir la recherche fondamentale sur les processus du système terrestre à diverses échelles temporelles. Par exemple, il devrait englober aussi bien le rythme rapide de la convection organisée des cumulus que la lenteur propre à la dynamique de la végétation ou à la fonte des inlandsis. Au cœur de cette activité est la reconnaissance du fait que la compréhension des processus à petite échelle, par l’observation, l’expérimentation et la simulation, est essentielle pour la paramétrisation à grande échelle. Elle garantira que les modèles du système climatique et du système terrestre produisent des simulations, des prévisions et des scénarios fiables et solides. C’est ici que les liens avec la science et la prévision du temps prendront toute leur valeur. Les spécialistes de ce domaine étudient nombre de problèmes similaires sur le plan de la compréhension et de la modélisation, mais ils ont l’avantage de pouvoir tester leurs modèles dans un environnement de prévision.
Ces trois piliers fermement ancrés visent à enrichir les compétences et les capacités à long terme. Dans le même temps, le PMRC devra faire appel à la coopération internationale pour s’attaquer de toute urgence aux grands problèmes scientifiques qui présentent un intérêt évident pour la société, en raison de leurs conséquences particulières ou en tant que moteurs de l’action gouvernementale. Dans ce but, il appuiera une série de projets de recherche transsectoriels de grande portée mais de durée limitée. Voici quelques sujets possibles:
- Élévation du niveau de la mer, impacts sur le littoral et agglomérations;
- Phénomènes météorologiques et climatiques extrêmes, aujourd’hui et demain;
- Cycle de l’eau et production alimentaire dans le monde;
- Sort des inlandsis de l’Antarctique et du Groenland.
Grâce à ces projets, le PMRC pourra conduire une série de travaux stimulants, collaborer avec un large éventail de scientifiques et favoriser l’apparition de la future génération de scientifiques éminents.
Faire progresser la science
L’examen du PMRC a montré sans ambiguïté que le Programme devait continuer à tirer sa force de l’orientation sur le savoir fondamental. Il n’a pas vocation à procurer des produits ou des services aux utilisateurs finals, cela risquerait de diluer son centre d’intérêt. Il devrait toutefois continuer de dialoguer activement avec les utilisateurs et les parties prenantes du domaine, ce dont il découlera de nombreux avantages. Le Programme pourra démontrer clairement l’utilité de ses recherches de base pour la société et faire bénéficier les utilisateurs des plus récentes avancées scientifiques afin que ces derniers puissent façonner leurs services en conséquence.
L’ampleur de la démarche pourrait s’avérer le plus grand risque pour le PMRC, et pour la science du climat en général. La modélisation est un outil crucial pour comprendre le climat, mais la mise au point de modèles bénéficie rarement d’un degré de priorité élevé au sein des organismes qui financent la recherche. La modélisation du climat a toujours exigé une très grande puissance de calcul. Au fil des décennies, la puissance disponible a régi le degré de complexité des modèles et, par conséquent, le genre de simulation que l’on pouvait exécuter. Rares sont les disciplines où les progrès sont si étroitement liés à l’augmentation de la puissance de calcul.
Une forte impulsion doit être donnée à l’élaboration de modèles pour contribuer aux travaux à venir sur la science sans discontinuité du temps, du climat et du système terrestre, la modélisation entièrement couplée du système terrestre à haute résolution et l’introduction du calcul à exa-échelle. Une nouvelle génération de codes sera nécessaire. Le PMRC peut apporter une aide décisive en faisant progresser les connaissances scientifiques requises pour établir la prochaine génération de modèles du système terrestre et en établissant avec les fournisseurs un dialogue sur la conception de machines à exa-échelle au profit de tous.
En résumé, l’examen a loué l’apport soutenu et vital du PMRC à la recherche internationale sur le climat. Le Programme et ses organismes de parrainage doivent maintenant planifier l’avenir afin de garantir que les recherches fondamentales continuent de servir la société face aux défis du XXIe siècle. En tant que porte-parole reconnu de l’ensemble des milieux internationaux de la science du climat, le PMRC assure une fonction cruciale de mobilisation stratégique auprès des gouvernements et des organes de financement de la recherche afin que la société bénéficie des meilleures connaissances scientifiques qui soient. Le Programme est plus nécessaire que jamais pour soutenir la modélisation globale du système terrestre, la science sans discontinuité du temps et du climat, l’amélioration de la qualité et de la fiabilité des prévisions du climat et la demande d’une diversité croissante de projections du climat, allant de l’échelle mondiale à locale, afin de guider l’action en faveur de la résilience, l’adaptation et l’atténuation.