Des programmes de modification artificielle du temps (notamment pour disperser le brouillard, déclencher la pluie et les chutes de neige et supprimer la grêle) sont en cours dans plus de 40 pays de la planète. Depuis qu'on a découvert, à la fin des années 1940, que les cristaux d’iodure d’argent pouvaient former des cristaux de glace en présence d’un peu de vapeur d’eau, les scientifiques se sont attelés à comprendre comment ils pourraient modifier la manière dont l’eau forme les nuages et se déplace au sein de ceux-ci. En dépit de plusieurs décennies de recherche, un profond scepticisme plane encore autour de l’ensemencement des nuages, notamment en raison du défi que représente l’évaluation de l’efficacité de la technique (l’établissement du rapport de cause à effet) compte tenu de la complexité et de la variabilité des systèmes météorologiques.
Qu’il soit chaud ou froid, pollué ou propre, qu’il survole une montagne ou un champ, les caractéristiques d’un nuage déterminent la réussite ou l’échec de toute tentative d’ensemencer celui-ci. De nouveaux outils permettent aujourd’hui aux météorologues d’étudier et de comprendre les nuages et les modifications qu’ils subissent avec plus de précision que jamais, tandis que les nouvelle technologies (notamment les nanotechnologies) sont en train d’étendre le champ des possibilités dans ce domaine. Soutenus par une campagne internationale de recherche et de financement pour l’obtention de ressources en eau, les scientifiques travaillent prudemment à la modernisation des techniques de déclenchement des pluies.
«L’eau est le fondement de la vie sur Terre – et l’eau et l’air que nous respirons sont les deux grands enjeux de ce siècle», explique Roelof Bruintjes, du Centre national de recherche atmosphérique (NCAR – États-Unis d'Amérique) et Président de l’Équipe d'experts de l’OMM pour la modification artificielle du temps. «Mieux comprendre les processus nuageux et les mécanismes des précipitations est la priorité absolue. Mieux nous les comprendrons, mieux nous devrions pouvoir agir sur les processus nuageux et ensemencer des nuages.»
Le grand défi de la modification artificielle du temps est la détermination et le repérage des nuages les plus adéquats. Sans nuage, ces technologies sont vaines. Certes, «l’ensemencement des nuages pourrait nous permettre d’accroître les ressources en eau, mais cette technique ne peut rien contre la sécheresse, car elle exige de disposer de nuages», explique M. Bruintjes, qui s’est formé dans le domaine de la modification artificielle des nuages en Afrique du Sud: «Personne ne peut créer ou chasser un nuage».
Comme l’explique M. Masataka Murakami, de l’Institute for Space-Earth Environmental Research de l’Université de Nagoya (Japon), «fondamentalement, la modification artificielle du temps, et plus particulièrement l’augmentation des précipitations, exige de trouver un processus régissant la transformation de l’eau contenue dans les nuages naturels en précipitations, puis d’activer nous-mêmes ce processus par une stimulation artificielle aussi simple que possible. C’est pour cela qu’il est important de trouver les nuages qui ont le potentiel de précipitation voulu, mais qui ne peuvent pas le concrétiser.»
En fait, souligne M. Abdullah Al Mandoos, Directeur du Centre national de météorologie et de sismologie des Émirats arabes unis (NCMS), «tout pays qui prévoit de mettre en œuvre des projets d’ensemencement des nuages doit définir les propriétés physiques et chimiques des nuages les plus courants qui sont accessibles au-dessus de son territoire».
Pour trouver les «bons nuages», il faut notamment tenir compte de la température. Pour favoriser les précipitations, il faut aider les particules d’eau à entrer en collision, à fusionner et à grossir à l’aide de l’un des deux procédés suivants: l’ensemencement glaçogène ou l’ensemencement hygroscopique. L’ensemencement glaçogène fait appel à des agents, tels que l’iodure d’argent, qui amorcent la formation de glace dans les «nuages froids» (dont la température est inférieure à 0 °C et qui contiennent de l’eau surfondue). L’iodure d’argent, qui a une structure cristalline similaire à la glace naturelle, peut accélérer la formation de glace dans la durée de vie d’un nuage, de sorte que celui-ci dispose de davantage de temps pour faire apparaître des particules de la taille propice aux précipitations. Dans les «nuages chauds» (des nuages convectifs dont d’importantes parties ont une température supérieure à ‑10 °C), les scientifiques peuvent procéder à l’ensemencement hygroscopique, le plus souvent à l’aide d’un simple sel, qui contribue aux collisions entre gouttelettes d’eau et à la production de pluie.
Pour les deux types d’ensemencement, glaçogène et hygroscopique, il est essentiel de déterminer si les nuages d’une région sont déjà efficaces de manière naturelle ou s’il vaut la peine d’intervenir. «Les principales techniques d’ensemencement des nuages fournissent des noyaux autour desquels des gouttes et des cristaux de glace peuvent se former», explique Roelof Bruintjes, «si ces particules existent déjà à une taille et à une concentration optimales dans certaines régions, l’ensemencement des nuages n’y aurait aucun impact».
L’emplacement des nuages est également un facteur important. Les nuages qui survolent les tropiques diffèrent de ceux des latitudes moyennes, car la température influe sur la manière dont s’opèrent les processus nuageux. «De plus», explique M. Bruintjes, «les nuages qui se trouvent dans des régions différentes, caractérisées par des taux de pollution différents, peuvent aussi connaître des processus de précipitations différents. En fait, même deux nuages qui se trouvent le même jour dans une même région peuvent réagir différemment en fonction de la pollution». Tout ce qui influe sur les nuages a une incidence sur l’ensemencement.
C’est dans les régions montagneuses, par ensemencement glaçogène de nuages «orographiques», qu’on a obtenu certains des meilleurs résultats. Dans ces régions, les nuages, qui se forment par l’écoulement de l’air au-dessus des montagnes, sont des cibles particulièrement intéressantes, les stocks neigeux de haute altitude pouvant contenir suffisamment d’eau pour une région toute une année.
Au Japon, par exemple, où la pénurie d’eau est un problème transitoire et non chronique, M. Murakami explique que l’ensemencement glaçogène de nuages de neige orographiques pourrait être une mesure préventive à la fin du printemps ou au début de l’été. Selon lui, des programmes de ce type pourront être menés «lorsque les prévisions de précipitations à long terme seront plus précises et plus fiables et qu’il sera possible de prédire une pénurie d’eau quelques mois à l’avance».
MM. Bruintjes et Murakami mentionnent des exemples de projets d’ensemencement de stocks de neige au Wyoming (États-Unis d'Amérique) et dans les Snowy Mountains d’Australie. Dans les Snowy Mountains, des scientifiques procèdent à l’ensemencement glaçogène de fronts froids vers l’est des montagnes. Au cours des mois plus froids, des générateurs au sol vaporisent un mélange d’iodure d’argent que les vents chassent vers l’est jusqu’aux nuages qui se trouvent au-dessus des montagnes. L’analyse des résultats de la première expérience, menée entre 2005 et 2009, a révélé que l’impact de l’ensemencement sur les chutes de neige était positif, quoique statistiquement non significatif. Les scientifiques ont toutefois constaté que le ciblage de l’ensemencement était «un succès sans équivoque», les taux d’iodure d’argent étant plus élevés dans les zones ensemencées que dans les autres. Une deuxième analyse a révélé des taux plus élevés de substances d’ensemencement, qui suggèrent la présence de particules de glace supplémentaires et, ainsi, un impact sur les processus de précipitation des nuages. Le projet se poursuit à ce jour, bien au-delà des premiers essais. Selon certains rapports, les chutes de neige auraient connu une augmentation atteignant 14 %.
Mesurer l’impact des projets d’ensemencement des nuages n’est pas une mince affaire. «En général, nous recourons à des expériences randomisées similaires à celles qui se mènent en médecine pour tester un nouveau médicament», précise M. Bruintjes. Tout comme dans une expérience médicale où deux sujets ne sont jamais semblables, «aucun nuage n’est le même qu’un autre et de nombreux facteurs peuvent jouer un rôle dans le processus de précipitation à l’intérieur d’un nuage».
Au cours des dix dernières années, les progrès réalisés dans le domaine des modèles numériques (qui peuvent simuler l’ensemencement plus précisément) et l’amélioration des outils d’observation (qui permettent de mieux comprendre les processus physiques déclenchés dans les nuages) ont été mis à profit dans les expériences d’ensemencement des nuages. Des améliorations utiles, en particulier, proviennent de la précision accrue des satellites et des radars à double polarisation terrestres ou aéroportés, qui permettent de mieux mesurer la taille des précipitations.
«Bien qu’ils ne soient pas parfaits, nous avons fait une grand pas en avant», souligne M. Bruintjes, «à mesure que nous améliorons les prévisions météorologiques, nous pouvons aussi mieux prévoir les changements.»
Andrea Flossmann, de l’Observatoire de physique du globe de Clermont Ferrand (France), également membre de l’Équipe d'experts pour la modification artificielle du temps, explique que les chercheurs travaillent à l’amélioration des méthodes statistiques nécessaires pour valider l’approche: «Il reste que les campagnes fiables coûtent cher et exigent de nombreux nuages tests, ensemencés ou non.»
L’un des groupes de recherche est l’équipe de M. Murakami, qui a reçu un financement du Programme de recherche des Émirats arabes unis sur l’augmentation des précipitations. «Nous nous employons à mieux évaluer l’augmentation des précipitations et, au bout du compte, à la rendre plus efficace dans les régions arides et semi-arides grâce à des travaux de recherche solides comprenant des analyses de données, des expériences de laboratoire, des observations de terrain et une modélisation numérique», souligne-t-il. Les travaux visent notamment à déterminer quelles structures microphysiques des nuages se prêtent à l’ensemencement et si celles-ci sont fréquentes au-dessus des régions montagneuses de l’est des Émirats arabes unis.
Programme de recherche des Émirats arabes unis sur l’augmentation des précipitations
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Augmentation des précipitations aux Émirats arabes unis
Le programme de recherche des Émirats arabes unis en faveur de l’augmentation des précipitations, dont le budget s’élève à 5 millions de dollars des États-Unis, a été lancé en 2015 en tant que projet international pour faire progresser la recherche et la technologie dans ce domaine. Selon sa directrice, Alya Al Mazroui, le programme a deux buts: encourager la recherche dans le domaine de l’augmentation des précipitations en général et accroître les précipitations aux Émirats arabes unis et dans d’autres régions arides ou semi-arides du monde.
L’eau est un problème crucial aux Émirats arabes unis: selon les estimations, leurs réserves souterraines vieilles de 10 000 ans diminuent de plus en plus, alors que la demande devrait y doubler au cours des 15 prochaines années. L'eau de mer dessalée représente 40 % des ressources en eau du pays. Compte tenu du coût élevé du dessalement, les Émirats arabes unis pratiquent l’ensemencement des nuages dans l’idée d’utiliser cette technologie comme une option moins onéreuse. En 2016, les Émirats arabes unis ont mené à bien 177 ensemencements, pour la plupart hygroscopiques, dans les chaînes de montagnes de l’est du pays, à la frontière avec Oman, afin de relever les niveaux des aquifères et des réservoirs. Selon un rapport de 2015, une couverture nuageuse plus importante que d’habitude a permis de mener à bien davantage de missions cette année.
Dans le cadre de leur programme d’augmentation des précipitations, les Émirats arabes unis visent à ouvrir la voie à de plus importants investissements et à des avancées technologiques dans le domaine de la modification artificielle du temps. M. Al Mandoos est fier de son pays: «C’est un pivot pour la mise au point des meilleures technologies pour trouver des solutions à la pénurie d’eau.»
Outre l’équipe de M. Murakami, récompensée pour avoir contribué aux méthodes de validation des techniques d’ensemencement des nuages, les autres projets lauréats du prix de 2015 visaient à: «utiliser les nanotechnologies pour fabriquer des substances d’ensemencement plus efficaces et opérer des modifications de la couverture terrestre pour augmenter les zones de confluence et améliorer l’amorce de la convection», explique M. Al Mandoos. Grâce aux nanotechnologies, les chercheurs pourraient peut-être créer, pour l’ensemencement des nuages, de nouvelles substances chimiques qui imiteraient mieux la structure cristalline de la glace à l’échelle du nanomètre. L’équipe responsable du Programme des Émirats arabes unis collabore avec les lauréats du concours pendant les trois années qui suivent la remise du prix pour les aider à réaliser leur projet.
M. Al Mandoos se réfère aux principes directeurs de l’OMM pour la planification d’activités de modification artificielle du temps, qu’il considère comme une ressource importante pour les pays cherchant à améliorer la sécurité hydrique: «Selon ces principes directeurs, les pays qui pratiquent l’ensemencement des nuages doivent étudier les nuages ensemencés et les autres par une méthode statistique randomisée», dit-il, «puis vérifier que les résultats obtenus sont confirmés par une analyse validant les opérations d’ensemencement considérées».
La prudence s’impose
La Déclaration de l'OMM sur la modification artificielle du temps, approuvée en 2015, traite également des techniques de modification du temps permettant de supprimer la grêle et de dissiper le brouillard. Elle mentionne l’intérêt récent pour l’ingénierie climatique. Selon Mme Flossmann, «récemment, l’ensemencement a été proposé comme une méthode d’atténuation des effets du changement climatique, pour augmenter la brillance des nuages et accroître la fraction du rayonnement solaire réfléchi dans l’espace». Le rapport de l’OMM appelle à la prudence pour ce type de projet planétaire, faisant valoir qu’il a toujours été difficile de déterminer les causes et les effets des interventions d’ensemencement à l’échelle locale.
L’ensemencement des nuages a bel et bien été pratiqué par le passé à l’échelle planétaire, mais d’une manière inattendue: par une modification fortuite des conditions météorologiques. Par exemple, des particules injectées dans la stratosphère à la suite d’éruptions volcaniques ont entraîné une baisse des températures mondiales pendant deux à trois ans (de telles éruptions ont probablement contribué au petit âge glaciaire du XIXe siècle). Mme Flossmann mentionne aussi que des observations effectuées par satellite ont révélé que les particules libérées par les cheminées des navires modifiaient les propriétés des stratocumulus qui les survolent, ceux-ci semblant devenir plus lumineux.
Comme elle l’explique, pour toutes les modifications de la météorologie, intentionnelles ou non, il importe de se rappeler que «l’atmosphère n’a pas de murs: ce que vous y injectez peut ne pas avoir l’effet voulu à proximité, mais peut surtout être transporté ailleurs et y produire des effets indésirables».
Tout dépend des nuages, en fait. «Il n’y a pas d’effet systématique, dit-elle. Chaque nuage va réagir à sa manière: il est difficile de savoir si les particules injectées auront un effet et, si c’est le cas, si ce sera bien l’effet escompté.»
Lauréats du Programme d’augmentation des précipitations des Émirats arabes unis - Le 17 janvier, les Émirats arabes unis ont proclamé les noms des lauréats du Programme d’augmentation des précipitations. Le prix (d’un montant de 5 millions de dollars des États‑Unis d'Amérique) a été attribué à M. Giles Harrison, de l’Université de Reading, à Mme Hannele Korhonen, de l’Institut météorologique finlandais, et à M. Paul Lawson, de SPEC Inc.
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Author
Mme Lisa M. P. Munoz est rédactrice scientifique et conceptrice rédactrice à Washington (États-Unis d'Amérique). Elle était auparavant attachée de presse et éditrice pour l’OMM.