Observer la vapeur d’eau
Ceux qui doutent de l’importance du changement climatique font parfois valoir que la baisse des rejets de dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère aura très peu d’effet, puisque le principal gaz à effet de serre est la vapeur d’eau. Pourquoi, dans ce cas, s’intéresser autant au CO2 et aux autres gaz à effet de serre? Les observations effectuées au sein du Programme de la Veille de l’atmosphère globale de l’OMM ont aidé à éclaircir ce point.
- Author(s):
- Ed Dlugokencky, Sander Houweling, Ruud Dirksen, Marc Schröder, Dale Hurst, Piers Forster, and WMO Secretariat*

Certains gaz, dont la vapeur d’eau et le CO2, absorbent l’énergie infrarouge présente dans l’atmosphère et la renvoient vers la surface de la Terre. C’est ce qu’on appelle l’effet de serre; s’il n’existait pas, la température à la surface du globe serait inférieure de 33 °C et s’établirait à −18 °C en moyenne. Ce sont les gaz non condensables ou persistants – essentiellement le CO2, mais aussi le méthane (CH4), l’oxyde nitreux (N2O) et les hydrocarbones (CFC, HCFC, HFC) – qui stimulent l’effet de serre. La vapeur d’eau et les nuages ont un effet de rétroaction rapide – la vapeur d'eau réagit très vite aux variations de la température, par évaporation, condensation et précipitation.
Cette forte rétroaction signifie, dans l’hypothèse d’un doublement des concentrations de CO2 par rapport aux valeurs préindustrielles, que la vapeur d’eau et les nuages entraîneraient à l’échelle du globe une hausse de l’énergie thermique trois fois supérieure environ à celle induite par les gaz à effet de serre persistants. En conséquence, si l’on considère la capacité d’emprisonner la chaleur provenant de la surface de la Terre, ce sont la vapeur d’eau et les nuages qui contribuent le plus au réchauffement. La quantité de vapeur d’eau atmosphérique est la résultante directe de la quantité de CO2 et des autres gaz à effet de serre persistants, dont les concentrations augmentent.
Il est impossible d’agir directement sur le volume de vapeur d’eau que renferme l’atmosphère, car l’eau est présente partout – elle couvre 71 % de la surface terrestre. La seule façon d’y arriver et de contenir la hausse des températures consiste à limiter la concentration des gaz à effet de serre que nous pouvons vraiment contrôler, à savoir le CO2 et les autres gaz persistants.
La Veille de l’atmosphère globale mesure la vapeur d’eau atmosphérique en raison du grand rôle que joue cette dernière dans le système climatique, en tant que puissant gaz à effet de serre et agent de formation des nuages. C’est aussi un composé chimique important dans la troposphère où elle produit le radical hydroxyle, qui en est principal oxydant, et dans la stratosphère où elle contribue à la destruction de l’ozone, au-dessus des pôles principalement.
La mesure de la vapeur d’eau
Il existe un large éventail de techniques et de plates-formes pour mesurer la vapeur d’eau atmosphérique. Les données recueillies sont surtout destinées à la prévision numérique du temps, à la surveillance et à la recherche sur le climat et la chimie de l’atmosphère. Les mesures se font in situ au moyen d’instruments emportés par ballon ou aéronef et à distance au moyen de capteurs disposés au sol ou à bord de satellites.
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Charge utile d’un ballon, comportant un hygromètre à point de gelée de la NOAA (à l’avant), une sonde d’ozone avec cellule électrochimique à concentration (à l’arrière) et une radiosonde InterMet (à gauche). L’air pénètre dans l’hygromètre par le mince tube en acier inoxydable qui sort du haut de l’appareil. Un tube similaire est fixé dans le bas de l’hygromètre avant le lancement. |
Les différentes techniques employées sont les suivantes:
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Capteurs en hyperfréquences passifs sur satellites à orbite polaire;
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Capteurs dans l’infrarouge, qui ont produit les plus longs relevés de sondage et de profilage de la vapeur d’eau par satellite;
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Imageurs dans l’ultraviolet, le visible et le proche infrarouge (méthodes de détermination de jour), qui utilisent deux canaux et offrent une grande résolution spatiale (~1 km);
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Limbosondeurs, qui analysent différentes couches de l’atmosphère le long d’un rayon tangent qui ne coupe pas la surface de la Terre;
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Radiosondes, très courantes pour les sondages in situ, qui fournissent des profils de l’humidité relative (entre autres) de grande qualité avec une résolution verticale toujours inégalée d’environ 5 mètres – un millier de radiosondes environ sont lancées chaque jour dans le monde. Les capteurs d’humidité procurent des données de qualité dans la plus grande partie de la troposphère, mais d’importantes corrections doivent être apportées aux mesures dans la haute troposphère et la stratosphère;
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Hygromètres à point de gelée emportés par ballons, qui utilisent un miroir refroidi dont la température est contrôlée avec soin au point de gelée;
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Instruments au sol, qui permettent un sondage semi-continu des masses d’air au-dessus d’un point fixe;
- Capteurs de vapeur placés à bord d’aéronefs commerciaux long-courriers.
Il n’est pas facile de dégager les tendances de la vapeur d’eau atmosphérique en raison du manque d’homogénéité des relevés, problème imputable à l’arrêt des observations, par exemple lorsque prend fin une mission satellitaire, ou à un changement d’instruments mal décrit ou mal maîtrisé. Il est également difficile de combiner les données divergentes fournies par différents appareils. C’est le cas des relevés provenant des instruments satellitaires HALOE et MLS. Quoi qu’il en soit, les observations montrent une hausse régulière de la colonne totale de vapeur d’eau et une augmentation marquée, sur 30 ans, de la vapeur d’eau stratosphérique.
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La vapeur d’eau dans les modèles climatiques
La quantité de vapeur d’eau dans la stratosphère a présenté une nette tendance à la hausse pendant la deuxième moitié du XXe siècle suivie, après 2000, de phases d’augmentation et de diminution (Nedoluha et al., 2013). On ne comprend toujours pas parfaitement l’ensemble des mécanismes en jeu dans ces fluctuations. Le transport des gaz, de la troposphère vers la stratosphère, se fait surtout par la tropopause tropicale. Étant donné les basses températures qui règnent dans cette région de l’atmosphère, l’air s’assèche et très peu de vapeur d’eau pénètre dans la stratosphère. En fait, l’une des grandes sources de vapeur d’eau stratosphérique est l’oxydation du méthane qui remonte de la troposphère. La poursuite du réchauffement dû au changement climatique et la hausse des concentrations de méthane devraient accroître le volume de vapeur d’eau dans la stratosphère.
L’augmentation de la vapeur d’eau dans la haute troposphère et la basse stratosphère provoque un refroidissement radiatif à ces niveaux et induit un réchauffement en surface. Selon de récentes analyses, l’élévation de la température à la surface de la Terre pourrait être sensible à des variations de la concentration dans la basse stratosphère qui sont inférieures à une partie par million (ppm) en volume. Une recherche a établi que la baisse de 10 % de la vapeur d’eau stratosphérique survenue entre 2000 et 2009 a ralenti de quelque 25 % le réchauffement en surface pendant la période en question, par rapport à ce qu’il aurait été du seul fait du CO2 et des autres gaz à effet de serre. Des données moins nombreuses suggèrent que la vapeur d’eau stratosphérique a sans doute augmenté entre 1980 et 2000, ce qui aurait accéléré de 30 % le rythme décennal de réchauffement en surface dans les années 1990, par rapport aux estimations qui n’intègrent pas cette variation. La vapeur d’eau stratosphérique est donc un facteur important dans l’évolution décennale du climat de la planète.
Faute d’observations tridimensionnelles de la vapeur d’eau à l’échelle du globe, on utilise souvent les produits mondiaux de réanalyse pour valider les simulations numériques. Deux jeux de données sont couramment employés. Le premier est issu de l’analyse rétrospective de l’ère moderne pour la recherche et les applications que réalise la NASA (MERRA, dans sa toute dernière version MERRA2), le deuxième provient des réanalyses Interim qu’exécute le Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme (CEPMMT).
Une étude récente montre que les produits de réanalyse portant sur la vapeur d’eau à haute altitude, cruciale pour l’effet de serre, ne sont pas aussi exacts qu’on le pensait. Les données obtenues pour la haute troposphère et la basse stratosphère ont été comparées aux mesures effectuées par le limbosondeur à hyperfréquences du satellite AURA. Ces mesures n’ayant pas servi à la réanalyse, elles constituent un jeu de données indépendant qui convient à la validation. L’étude a révélé que les données de réanalyse différaient grandement des observations effectuées par le limbosondeur, surestimant de quelque 150 % la quantité annuelle moyenne de vapeur d’eau dans la haute troposphère. Dans le plan vertical, la traversée de la tropopause tropicale (16–20 km) est plus rapide d’environ 86 % selon les réanalyses que selon les observations. S’agissant de la vitesse moyenne de transport vertical dans la basse stratosphère tropicale (21–25 km), les données du CEPMMT excèdent de 168 % les estimations du limbosondeur et les données MERRA et MERRA2 s’en écartent de 10 %. Dans le plan horizontal à 100 hPa, les observations par le limbosondeur comme les données de réanalyse montrent que le transport vers le pôle est plus rapide dans l’hémisphère Nord que dans l’hémisphère Sud. Par rapport aux observations, la vitesse de transport horizontal selon les jeux MERRA et MERRA2 est supérieure de 106 % dans l’hémisphère Nord et inférieure de 42 à 45 % dans l’hémisphère Sud; selon les données du CEPMMT, le transport horizontal est plus rapide de 16 % dans les deux hémisphères.
Pour compliquer encore la situation, précisons que les données sur la vapeur d’eau provenant du limbosondeur renferment des biais négatifs de 10 à 20 % dans la haute troposphère tropicale par rapport aux hygromètres à point de gelée lancés par ballon à partir de Hilo, à Hawaii, et de San José, au Costa Rica (Dale Hurst, 2016). Ces biais pourraient compenser quelque peu les biais positifs des données de réanalyse MERRA et ERA-Interim par rapport aux observations du limbosondeur.
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Les mesures de la vapeur d’eau stratosphérique au-dessus de Boulder, Colorado, présentent une nette tendance à la hausse sur 30 ans. Tiré de Hurst et al., 2011 |
De tels écarts entre les méthodes de mesure, ainsi qu’entre les observations et les produits de réanalyse, dénotent de vastes incertitudes dans les mesures et une compréhension insuffisante des processus de transport et d’assèchement dans la haute troposphère et la basse stratosphère. Ils montrent également qu’il faut accroître et affiner les observations de la vapeur d’eau à ces niveaux. Comme on l’a dit dans la section consacrée à la mesure, les systèmes actuels comportent diverses lacunes, dont la durée limitée des missions satellitaires et la faible densité spatio-temporelle des observations au sol et par ballon; un seul site dans le monde (Boulder, Colorado) détient une série complète, sur plus de 30 ans, de mesures de la vapeur d’eau par ballon dans cette partie de l’atmosphère.
Les modèles qui servent à prévoir les conditions futures utilisent des données de réanalyse pour s’assurer que le climat actuel est correctement représenté. L’inexactitude des données sur la vapeur d’eau dans l’importante région de la haute troposphère et de la basse stratosphère limite donc la capacité d’anticiper le climat de demain.
La vapeur d’eau en tant que composé chimique
En plus de contribuer à l’effet de serre et à la formation des nuages, les molécules d’eau prennent part à des réactions chimiques dans l’atmosphère. Avec l’ozone, la vapeur d’eau est une source importante du radical hydroxyle (OH) extrêmement réactif. Ce dernier est le principal oxydant dans la basse atmosphère, constituant le principal puits de nombreux gaz à effet de serre (CH4, hydrochlorofluorocarbones (HCFC), hydrofluorocarbones (HFC), entre autres) et substances polluantes (CO, hydrocarbones non méthaniques, etc.). En air pur, le radical OH est formé par la paire de réactions chimiques:
O3 + n (I<340nm) –> O2 + O(1D)
O(1D) + H2O –> 2OH
Son abondance dans l’atmosphère dépend de la quantité d’ozone et de vapeur d’eau. Sa production est également fonction du volume d’ozone en altitude, qui détermine l’ampleur du rayonnement de courte longueur d’onde nécessaire pour dissocier les molécules d’ozone.
Alors que la troposphère est plutôt humide, la stratosphère est très sèche; le rapport de mélange de la vapeur d’eau y est généralement inférieur ou égal à 5 ppm. C’est pourquoi il n’y a pas, en principe, de nuages dans la stratosphère. Si la température chute sous –78 °C toutefois, il peut se former un type particulier de nuages de glace composés d’eau et d’acide nitrique (HNO3 • 3H2O). À la surface des particules de glace, des réactions chimiques transforment les composés réservoirs chlorés qui sont inoffensifs (acide chlorhydrique-HCl et nitrate de chlore-CIONO2) en gaz ractifs (monoxyde de chlore-CIO) qui détruisent l’ozone.
La hausse des concentrations de vapeur d’eau conjuguée à la baisse des températures dans la stratosphère – autre conséquence du changement climatique – favorisera la formation de tels nuages et, ce faisant, accentuera la destruction de l’ozone tant que les teneurs en gaz nocifs resteront élevées.
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Les nuages nacrés forment des ondes sous le vent dans la stratosphère, à 20–25 km d’altitude, quand de forts vents d’ouest soufflent au-dessus des montagnes de Norvège. Les couleurs sont dues à la diffraction en bordure des particules de glace qui composent ces nuages. Leur beauté est trompeuse; ils annoncent la destruction d’ozone par la transformation de composés halogénés passifs en espèces actives. |
Les défis associés à l’observation de la vapeur d’eau
Faute d’observations présentant une haute résolution verticale, on connaît mal la répartition de la vapeur d’eau dans la haute troposphère et dans la stratosphère. En outre, les données provenant des satellites, des hygromètres à point de gelée et des réanalyses météorologiques présentent parfois des écarts notables. On a besoin d’observations plus précises qui offrent une meilleure couverture spatiale. Il reste difficile d’expliquer les tendances temporelles des mesures de la vapeur d’eau stratosphérique, ce qui dénote une compréhension insuffisante des processus par lesquels la vapeur d’eau pénètre dans cette partie de l’atmosphère. Ces aspects seront étudiés plus avant dans le cadre de la Veille de l’atmosphère globale.
References
- Forster, P. M. de F., and K. P. Shine (2002), Assessing the climate impact of trends in stratospheric water vapor, Geophys. Res. Lett., 29, 1086, doi:10.1029/2001GL013909.
- Hurst, D.F., S.J. Oltmans, H. Vömel, K.H. Rosenlof, S.M. Davis, E.A. Ray, E.G. Hall and A.F. Jordan, 2011: Stratospheric water vapor trends over Boulder, Colorado: Analysis of the 30 year Boulder record. Journal of Geophysical Research: Atmospheres, 116(D2):D02306, doi:10.1029/2010JD015065.
- Hurst, D.F., 2016, personal communication.
- Jiang, Jonathan H., Hui Su, Chengxing Zhai, Longtao Wu, Kenneth Minschwaner, Andrea M. Molod, Adrian M. Tompkins, 2015: An assessment of upper troposphere and lower stratosphere water vapor in MERRA, MERRA2, and ECMWF reanalyses using Aura MLS observations, J. Geophys. Res. Atmos., 120, 11,468–11,485, doi:10.1002/2015JD023752.
- Lacis, A.A., J.E. Hansen, G.L. Russell, V. Oinas and J. Jonas, 2013: The role of long-lived greenhouse gases as principal LW control knob that governs the global surface temperature for past and future climate change. Tellus B, 65:19734, doi10.3402/tellusb. v65i0.19734.
- Nedoluha, G. E., Michael Gomez, R., Allen, D. R., Lambert, A., Boone, C., and Stiller, G.: Variations in middle atmospheric water vapor from 2004 to 2013, J. Geophys. Res. Atmos., 118, 11285–11293, doi:10.1002/jgrd.50834, 2013.
- Solomon, S., K. H. Rosenlof, R. Portmann, J. Daniel, S. Davis, T. Sanford, and G. -K. Plattner (2010), Contributions of stratospheric water vapor to decadal changes in the rate of global warming, Science, 327, 1219-1223, doi:10.1126/science.1182488.
Further reading
Observations of water vapour: N. Kämpfer (ed.), Monitoring Atmospheric Water Vapour, ISSI Scientific Report Series 10, DOI 10.1007/978-1-4614-3909-7, ©Springer Science+Business Media, LLC 2013
Water vapour as a greenhouse gas and as a feedback: https://www.skepticalscience.com/water-vapor-greenhouse-gas.htm
Authors
Ed Dlugokencky, U.S. National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) Earth System Research Laboratory
Sander Houweling, Netherlands Institute for Space Research (SRON)
Ruud Dirksen, Global Climate Observing System (GCOS) Reference Upper-Air Network (GRUAN) Lead Centre, Deutscher Wetterdienst (DWD)
Marc Schröder, Deutscher Wetterdienst (DWD)
Dale Hurst, U.S. National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) Earth System Research Laboratory and Cooperative Institute for Research in Environmental Sciences (CIRES), University of Colorado
Piers Forster, School of Earth and Environment, University of Leeds
WMO Secretariat, Oksana Tarasova, Chief, and Geir Braathen, Senior Scientific Officer, Global Atmosphere Watch
Footnotes
1 Solomon, S., K. H. Rosenlof, R. Portmann, J. Daniel, S. Davis, T. Sanford, and G.-K. Plattner (2010), Contributions of stratospheric water vapour to decadal changes in the rate of global warming, Science, 327, 1219–1223, doi:10.1126/science.1182488.