Nécrologie 57-1-2008

Bert Bolin — Anthony Hollingsworth — William James Burroughs
L’année 2007 avait été jusque-là des plus bénéfiques pour toute la communauté climatologique, avec l’approbation du quatrième rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), l’attribution du prix Nobel de la paix au GIEC et l’accord sur la feuille de route conclu à Bali lors de la treizième session de la Conférence des Parties à la CCNUCC. Cette même année s’est tristement terminée le 30 décembre avec le décès, à Stockholm, de Bert Bolin.
Né en Suède le 15 mai 1925, Bert Bolin aura été pendant près de 60 ans l’une des grandes figures de la recherche dans les domaines météorologique et climatique. À ses débuts, il se concentre sur la prévision numérique du temps et l’utilisation de modèles mathématiques pour décrire les dynamiques atmosphériques à grande échelle. En 1947, il prépare une thèse de doctorat à l’Université de Stockholm au sein du groupe de prévision numérique du temps Carl Gustaf Rossby. Il part ensuite aux États-Unis pour se joindre au groupe de Jule Charney au Princeton Institute for Advanced Studies, don’t le superviseur, John von Neumann, est chargé d’un projet de calculateur électronique.
Bert revient plus tard à Stockholm où il participe à la mise en place du système de prévision numérique opérationnel qui fournit le premier ensemble de prévisions véritablement fonctionnelles conçu par un calculateur électronique. Dans une série d’articles publiés dans Tellus, il démontre la supériorité des méthodes de prévision numérique sur les méthodes traditionnelles. Bert Bolin utilise les résultats obtenus ainsi que ses études des processus d’ajustement géostrophiques dans le contexte de l’assimilation des données pour rédiger sa thèse de doctorat, qu’il soutient avec succès à l’Université de Stockholm en 1956. Après le décès de Rossby en 1957, il est nommé Directeur de l’Institut météorologique international de Stockholm puis, en 1961, Professeur de météorologie à l’Université de Stockholm.
Bert Bolin porte alors ses recherches sur les cycles biogéochimiques et, en particulier, sur le cycle du carbone, étant le premier à entreprendre des études sur la modélisation de cet élément afin de calculer sa durée de vie dans l’atmosphère: ce sera là un fait capital pour comprendre comment les changements dans l’utilisation des combustibles fossiles peuvent influer sur les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Avec Erik Eriksson, il met au point des prévisions relatives à la teneur de l’atmosphère en dioxyde de carbone pour la fin du XXe siècle. Par la suite, le cycle du carbone et les changements climatiques resteront au cœur de ses travaux jusqu’à la fin de sa carrière.
Parallèlement, Bert participe à l’organisation internationale des activités de recherche. Dans les années 60, notamment, il prend une part active à l’élaboration du Programme de recherche sur l’atmosphère globale (GARP) et à l’organisation de la Conférence d’étude du GARP, qui s’est tenue à Skepparholmen (Suède), en juin-juillet 1967. Cette conférence marque le début d’une campagne internationale de recherche et d’observation qui a pour but de mieux comprendre la circulation atmosphérique et la dynamique du climat. De 1968 à 1970, Bert sera le premier président du Comité mixte d’organisation du GARP (CMO), organe relevant de l’OMM, et du Conseil international pour la science (CIUS), et il restera membre du CMO six autres années. On considère déjà qu’il est nécessaire d’élaborer des modèles climatiques pour mieux comprendre l’évolution du climat. Toutes ces entreprises contribuent à la mise en place, en 1980, du Programme mondial de recherche sur le climat (PMRC), sous le coparrainage de l’OMM et du CIUS.
De 1965 à 1967, Bert Bolin assume la direction scientifique de l’Organisation européenne de recherche spatiale qui vient d’être créée avant d’être remplacée par l’Agence spatiale européenne (ESA). Il contribue ainsi à l’élaboration d’une stratégie scientifique pour le Programme spatial européen. Au début des années 60, il avait déjà pris l’initiative de mettre au point un projet de recherche au moyen de fusées dans le cadre du Département de météorologie de l’Université de Stockholm. S’appuyant sur l’infrastructure fournie par l’Armée de l’air suédoise, ce projet avait pour but d’étudier la chimie et la physique de la haute atmosphère. Bert avait alors comme étudiant doctorant Paul Crutzen, qui recevra le prix Nobel de chimie en 1995.
En 1972, Bert Bolin participe à l’organisation de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement, également connue sous le nom de Conférence de Stockholm, qui, entre autres sujets essentiels, se penche sur la question de l’acidification. Le problème du changement climatique sera également abordé dans les années 70 grâce à l’action menée par Bert Bolin, mais celui-ci va se rendre compte qu’il manque encore des indices probants pour convaincre les décideurs et la société en général que la concentration croissante de dioxyde de carbone dans l’atmosphère devient une menace pour notre environnement.
Toutefois, au début des années 80, lors de différentes réunions internationales, Bert s’emploie avec succès à souligner la nécessité de s’appuyer davantage sur la recherche pluridisciplinaire pour affronter le problème du changement climatique. Le GARP, le PMRC et le Programme international géosphère-biosphère sont autant de jalons importants dans cette voie, mais il n’en reste pas moins persuadé que, pour se faire entendre, une évaluation approfondie s’impose qui permette de tirer des conclusions indiscutables sur ce que l’on sait et ce que l’on ignore encore du système climatique mondial.
Bert Bolin sera le premier Président du GIEC, créé en 1988 par l’OMM et le Programme des Nations Unies pour l’environnement. Il est également président du Groupe d’experts de 1988 à 1997, période pendant laquelle celui-ci rédige ses deux premiers rapports d’évaluation (1990 et 1995). Retraité, il prend encore une part active aux travaux du GIEC dans le cadre du processus d’examen des documents qui débouche sur les troisième et quatrième rapports d’évaluation (2001 et 2007).
Bert devait diriger le GIEC avec passion en se forgeant une morale de l’engagement fondée à la fois sur la neutralité et la rigueur. Il s’attacha inlassablement à maintenir le Groupe d’experts en dehors de la sphère politique, axé exclusivement sur le travail scientifique. C’est ainsi que le GIEC put gagner un respect universel dû à une intégrité qui allait rendre ses rapports si précieux à tous les gouvernements du monde.
En octobre 2007, on annonce que le prix Nobel de la paix sera décerné au GIEC et à Albert Gore «en reconnaissance de l’action menée pour rassembler et diffuser les connaissances sur les changements climatiques anthropiques et jeter ainsi les bases des politiques à mettre en œuvre afin d’en contrer les effets». À cette occasion, Bert reçoit les félicitations de M. Gore, qui le considère comme l’initiateur de tous les travaux qui ont conduit à l’attribution du Prix.
Au milieu de décembre, quelques jours seulement avant la disparition de Bert Bolin, M. Gore et l’actuel Président du GIEC, Rajendra Pachauri, prononcent une conférence devant le Parlement suédois. L’un et l’autre soulignent que, sans Bert Bolin, le GIEC n’aurait pas été ce qu’il est aujourd’hui. Bert était présent en cette circonstance, où se manifesta pleinement l’immense estime qui entourait sa personne et son œuvre.
Au cours de sa vie, Bert Bolin avait été membre de plusieurs académies scientifiques et il avait obtenu nombre de distinctions, dont le prix de l’Organisation météorologique internationale (1981), la médaille Gustaf Rossby pour la recherche (1984), le prix Tyler pour la protection de l’environnement (1988) et le quatrième prix Planète bleue décerné par la Fondation Asahi Glass (1995). Que ce soit comme enseignant ou comme chercheur, Bert Bolin avait conduit toute sa carrière à l’Université de Stockholm où il professa la météorologie de 1961 à 1990, tout en étant souvent invité à l’étranger pour y donner des conférences. Homme de science aux multiples talents, c’était un modèle pour tous ses collègues et disciples. Sa disparition sera profondément ressentie par la communauté scientifique.
Erland Källén et Henning Rodhe
Né à Dublin le 6 juillet 1943, Tony est décédé le 29 juillet 2007 alors qu’il était en vacances à Galway. Il était extrêmement fier de ses origines irlandaises. En 1965, après avoir obtenu haut la main un diplôme de mathématiques du Collège universitaire de Cork, Tony a rejoint le Service météorologique irlandais et y a suivi la formation requise pour devenir un météorologue diplômé.
C’est à l’aéroport de Shannon, où il est devenu spécialiste de la prévision générale et aéronautique, que Tony eut pour la première fois l’occasion de se «frotter au terrain». L’une des fonctions les plus intéressantes qui lui était dévolue en été consistait à établir régulièrement des prévisions de route pour une équipe américaine pilotant un vieux Catalina pour des voyages aller retour entre Shannon, Keflavik (Islande) et Narssarssuaq (Groenland). Pour ses «loisirs», Tony suivait un cours de maîtrise en mathématiques pures à l’Université de Cork.
Après avoir passé quelques années au Service météorologique, Tony a rejoint le Massachusetts Institute of Technology en vue d’obtenir un doctorat en météorologie, et a été assistant de recherche auprès de deux des pères fondateurs de la prévision numérique du temps telle que nous la connaissons actuellement, Ed Lorenz et Norman Phillips, qui ont supervisé sa thèse consacrée aux effets des marées océaniques et terrestres sur la marée atmosphérique lunaire semi-diurne. Tony a obtenu son doctorat en 1970. Il estimait que les grandes joutes intellectuelles qu’il a eues avec «Norm» durant ses études l’avaient bien préparé à l’action qu’il devait ensuite mener au sein de comités dans les milieux internationaux.
Après une courte période au Département des sciences atmosphériques de l’Université d’État de l’Oregon, Tony est retourné en Europe en 1971. Il a rejoint le Groupe de modélisation de l’atmosphère des universités du Royaume-Uni à l’Université de Reading, en qualité de chercheur et de membre fondateur, avec Brian Hoskins et Eli Doron.
En novembre 1974, Tony a posé sa candidature pour un poste au Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme (CEPMMT). Comme moi, il avait entendu Aksel Wiin-Nielsen et Lennart Bengtsson (qui devaient devenir par la suite les premier et troisième directeurs du CEPMMT) s’exprimer au sujet des préparatifs engagés pour établir le CEPMMT. Nous avions tous deux hâte de voir le jour où les prévisions météorologiques cesseraient d’être la risée du public et nous savions que, pour en arriver là, il faudrait améliorer la prévision numérique du temps à l’échelle du globe. Le projet de création du CEPMMT semblait réaliste, d’autant plus qu’il n’existait alors aucun système de modélisation ou d’analyse (système d’assimilation des données).
Tony a rejoint le CEPMMT le 1er mars 1975 et je l’ai suivi deux mois plus tard. Les deux premières années ont été très agitées pour lui comme pour moi. Tony a été affecté durant quelques mois au Geophysical Fluid Dynamics Laboratory (GFDL), à Princeton, où il a travaillé avec le modèle climatique mondial du laboratoire, qu’il a transféré sur le premier système de calcul électronique du CEPMMT. Avec sa petite équipe, il est parvenu à le faire fonctionner sur l’ordinateur très lent du Centre et il en est résulté quelques prévisions d’échelle mondiale. Cette période d’apprentissage en douceur s’est achevée en 1976, lorsque le Centre a fermement décidé qu’il était temps de mettre au point et d’appliquer un système de prévision opérationnel digne de ce nom avant la fin du premier semestre de 1979.
De 1976 jusqu’à sa retraite, en 2003, Tony a touché à quasiment tous les aspects de la prévision numérique du temps, dirigeant tour à tour la Section de la physique des modèles et les divisions des données et des modèles du Département de la recherche. En 1991, il est nommé chef de la recherche et en 1995, Directeur adjoint du CEPMMT. En outre, il a apporté à maintes reprises sa contribution personnelle à la science de la prévision numérique du temps, ce qui s’est traduit par une nette amélioration des prévisions mondiales produites par le Centre.
Je mentionnerai en particulier:
- Le rôle qu’il a joué dans l’identification des graves erreurs systématiques des modèles, cause principale des erreurs qui ont caractérisé les premières prévisions émises par le Centre. Sa contribution a permis de planter le décor et de fournir des outils pour le programme de modélisation de toutes les années 80;
- Son analyse des erreurs constatées dans le système d’observation et les prévisions à courte échéance. Elle a fourni les outils, toujours en usage aujourd’hui, permettant de surveiller le fonctionnement du système d’observation, tout en jetant les bases de l’amélioration des méthodes d’analyse et d’assimilation des données, d’où une plus grande exactitude des conditions initiales.
Pour Tony, aucun travail n’était complet tant qu’il n’était pas publié, et il a lui-même publié, souvent en collaboration avec d’autres, plus de 100 rapports et autres documents. Nombreux sont les jeunes scientifiques qui ont appris à rédiger leurs travaux en suivant les conseils ou l’exemple de Tony.
Tony a quitté ses fonctions de chef de la recherche et de Directeur adjoint du Centre le jour de son soixantième anniversaire, mais il ne songeait pas à se mettre réellement à la retraite. Il avait hâte de prendre la direction du projet européen GEMS (Système mondial de surveillance continue de l’environnement), qui consiste à assurer une surveillance mondiale et régionale du système terrestre en ayant recours à des données satellitaires et in situ. Tony est resté au CEPMMT pour travailler avec dévouement et clairvoyance à ce projet.
Sur la scène internationale, Tony a joué aussi un rôle important à une échelle plus grande, s’attachant à promouvoir une étroite collaboration avec les agences spatiales du monde entier. Il a aussi œuvré pour le Programme mondial de recherche sur le climat, le Système mondial d’observation du climat, l’Académie nationale des sciences des États-Unis d’Amérique et la Société météorologique américaine (AMS), qui lui a décerné le prix Jule G. Charney. Enfin, il a obtenu un doctorat à l’Université de Cork pour sa contribution à la prévision numérique du temps.
Au départ, Tony était «imperméable» aux possibilités que laissait entrevoir l’assimilation variationnelle quadridimensionnelle des données, aujourd’hui la pierre angulaire des systèmes de prévision numérique du temps. Son indifférence s’est toutefois muée en enthousiasme lorsqu’il est apparu clairement que l’approche variationnelle permettait de mieux mettre à profit les données satellitaires.
Tony et moi avons travaillé ensemble au CEPMMT pendant près de 30 ans, et même si nous avons parfois brigué le même poste, notre amitié est restée forte. Nous faisions partie, comme beaucoup d’autres, de l’équipe qui a su révolutionner la prévision numérique du temps. Nous avons perdu un ami et un collègue dont l’enthousiasme et le sens de l’accueil ne se sont jamais démentis, et la communauté météorologique internationale a perdu un grand scientifique.
Tony laisse derrière lui sa femme Breda et ses enfants Cormac et Deidre.
David Burridge
Directeur du CEPMMT,
janvier 1991-juin 2004.
Bill pour ses proches n’a cessé d’écrire à corps perdu, d’écrire passionnément sur la science, l’amour de sa vie. Même après avoir quitté officiellement la fonction publique, il a continué de se distinguer des autres.
Né le 11 mai 1942 dans le Surrey, au Royaume-Uni, où il a passé la plus grande partie de sa vie, Bill a étudié à la Royal Grammar School de Guildford. Sa fascination pour le temps qu’il fait a commencé à se manifester à l’Université d’Oxford, alors qu’il patinait sur la Cherwell pendant le long et rigoureux hiver de 1963. D’aucuns se demandaient à l’époque si le climat mondial n’était pas en train de se refroidir. Bill a entamé sa carrière en tant que chercheur au Laboratoire national de physique et a obtenu une maîtrise, puis un doctorat de physique infrarouge et de physique de l’atmosphère, à l’Université de Londres. À partir de 1971, Bill a travaillé pour le Gouvernement britannique à divers titres, tout d’abord en tant que Premier Secrétaire (scientifique) à l’Ambassade du Royaume-Uni à Washington, où il était spécialisé dans les questions relatives à l’énergie et à l’environnement, ensuite en tant que Secrétaire particulier principal de Tony Benn puis de David Howell et, enfin, en tant que Chef des relations internationales au Ministère de la santé.
Possédant de grands talents de communicateur, Bill avait publié à la fin de sa carrière une douzaine d’ouvrages sur les cycles météorologiques et l’impact du changement climatique, ainsi que plus de 200 articles pour, entre autres, The Times, The Independent, The Guardian et The New Scientist. En 2005, il s’est vu décerner par la Royal Meteorological Society le prix Michael Hunt destiné à récompenser l’excellence de son travail de vulgarisation de la météorologie.
À la fin des années 90, l’OMM s’est lancée dans une ambitieuse entreprise consistant à décrire en un seul volume, avec le plus de détails possible, le climat du XXe siècle et à montrer comment il pourrait détenir les clefs de l’évolution du climat au XXIe siècle. Rédacteur et éditeur, Bill était l’âme de cette entreprise. Sa vaste expérience de la rédaction d’articles scientifiques, en particulier sur le temps et le climat, a rendu possible la publication, en 2003, d’un ouvrage très complet et d’un abord très facile, publié conjointement par l’OMM et la Cambridge University Press et intitulé Climate: into the 21st century. Dans sa critique de l’ouvrage, The New Scientist a estimé qu’«il n’existe probablement pas d’ouvrage grand public consacré au temps qui soit plus complet que celui-ci et que les prévisions qu’il contient ont d’autant plus de poids que Bill Burroughs, son éditeur, est un météorologue connu pour la méfiance que lui inspire les prédictions fantaisistes concernant le climat futur». L’OMM et l’équipe qui a coordonné l’ensemble du projet doivent beaucoup à Bill pour sa contribution au succès de l’ouvrage.
William Burroughs, écrivain et scientifique, s’est éteint le 22 novembre 2007. Il laisse derrière lui sa femme, son fils et sa fille.
Mary Voice
Leslie Malone