La prestation intégrée des services météorologiques au transport terrestre
Les secteurs du transport aérien, maritime et terrestre ont chacun leur façon de contrer les effets qu’ont les conditions météorologiques à fort impact sur la sécurité, l’efficacité et la continuité de leurs activités. Chacun analyse aussi séparément des informations différentes, spécialisées. De nos jours pourtant, le mouvement des personnes et des biens combine d’ordinaire plusieurs modes de transport hautement coordonnés. Il faut donc procurer des services parfaitement intégrés si l’on veut atténuer les répercussions du temps sur l’ensemble du système.
- Author(s):
- une équipe spéciale de l’OMM et le Secrétariat de l’OMM

Le plus grand défi pour les Services météorologiques et hydrologiques nationaux (SMHN) sera d’intégrer l’assistance offerte au transport terrestre. Ce secteur est beaucoup moins réglementé et harmonisé que ne le sont le transport aérien et le transport maritime, à l’échelon national et international notamment. Sa vulnérabilité à l’égard des conditions météorologiques, par rapport aux secteurs aéronautique et maritime, apparaît cruellement dans les statistiques d’accidents. Aux États-Unis d’Amérique, les accidents de la route liés au mauvais temps font près de 6 000 morts par an et causent des pertes économiques de plus de 40 milliards de dollars É.-U. L’impact économique des retards de la circulation aérienne dus au temps, quoique considérable, ne représente que 10 % environ des pertes subies sur le réseau routier. Il semble donc logique et très avantageux de profiter de l’expérience acquise dans les secteurs aéronautique et maritime et d’en tirer de précieux enseignements pour élaborer des normes et orientations visant la prestation intégrée, sans discontinuité, de l’assistance météorologique au transport terrestre.
Les SMHN joueront un rôle de premier plan dans l’intégration de la fourniture des services météorologiques, mais les partenariats public-privé seront également essentiels. La plupart des SMHN sont bien placés pour procurer les éléments de base nécessaires à une bonne intégration. Ce serait toutefois une erreur de sous-estimer l’apport des sociétés privées qui offrent depuis de nombreuses années des services météorologiques spécialisés au secteur des transports. Les modalités d’association dépendront d’une multitude de facteurs, dont les moyens et les capacités des SMHN, les pratiques et habitudes locales, les ressources disponibles, les particularités géographiques, les catégories d’utilisateurs finals, la structure et le stade de développement du système de transport. Les partenariats public-privé, sous diverses formes, seront indispensables pour concrétiser le modèle de prestation intégrée des services météorologiques.
Les exigences
Dans le domaine du temps, la prestation intégrée de services évoque la mise en place d’un réseau optimal grâce à une action unifiée face aux conditions défavorables. Elle nécessite une connaissance et une compréhension communes de la situation, rendues possibles par la mise à disposition, l’utilisation et la diffusion sans discontinuité d’informations et de services spécialisés d’aide à la décision. L’objectif, dans le cas qui nous occupe, est d’assurer la «prestation intégrée de services» à divers modes de transport.
Prenons l’exemple du déplacement de personnes ou de marchandises du point A au point C; il faut tenir compte de l’effet net du mauvais temps à l’emplacement de départ (point A), le long d’une partie du réseau ferroviaire (du point A au point B), au centre de transit (point B), le long d’une partie du réseau routier (du point B au point C) et au lieu d’arrivée (point C). Si le trajet dure des heures et s’étend sur des centaines de kilomètres, on doit estimer l’impact du temps à plusieurs moments et à de nombreux endroits. Il faut savoir aussi que les mêmes conditions météorologiques, une pluie verglaçante par exemple, auront sans doute des conséquences très différentes à différents points du parcours – et pour différents utilisateurs. L’exercice peut donc être très complexe et ardu.
Les répercussions du temps violent sur les transports sont en général bien comprises, mais il reste très difficile de quantifier et d’atténuer ces impacts dans plusieurs secteurs, à diverses échelles spatio-temporelles, au sein d’un même territoire et par-delà les frontières géopolitiques. Certaines conditions doivent être remplies pour cela: connaître les besoins des différents utilisateurs; optimiser les observations du temps, des routes, des voies ferrées et de la circulation; utiliser et conjuguer plusieurs techniques de prévision, y compris la prévision immédiate et la prévision numérique; améliorer la communication et la diffusion des messages; enfin, assurer une intégration sans discontinuité entre les modes de transport. L’exigence minimale est sans doute l’élaboration d’une série complète d’observations, de prévisions et de services d’aide à la décision. Grâce à l’intégration de la prestation des services, plusieurs modes de transport bénéficieront de la fiabilité, la pertinence, la qualité et autres caractéristiques essentielles de l’information météorologique qui sont précieuses pour les utilisateurs finals; parallèlement, certaines informations s’adresseront à un secteur particulier, voire à un utilisateur donné au sein d’un secteur.
Les services météorologiques intégrés devront répondre aux besoins de diverses catégories d’utilisateurs:
-
Les sociétés de camionnage, les compagnies aériennes et maritimes, les autocaristes;
-
Les usagers du système de transport (services postaux, fournisseurs de produits médicaux, particuliers, etc.);
-
Les exploitants d’aéroports, les compagnies aériennes, les prestataires de services;
-
Les organismes publics et privés d’entretien des autoroutes;
-
Les gestionnaires des situations d’urgence;
-
Les capitaineries des ports;
- Les compagnies ferroviaires.
Pour fournir des indications utiles – c’est-à-dire faciliter la prise de décisions – il faudra évaluer et comprendre en profondeur ce qu’implique la prestation intégrée de services à l’ensemble des parties. Il sera tout aussi important d’expliquer aux utilisateurs et aux décideurs la nature des services météorologiques fournis afin qu’ils les exploitent au mieux tout le long de leur chaîne de valorisation. Cette étape cruciale mettra en lumière l’avantage de recevoir des services d’information améliorés et complets. En outre, la coordination et la normalisation des activités présentent un caractère urgent dans le contexte de la mondialisation des transports.
![]() |
La prestation intégrée de services météorologiques consiste à fournir sans discontinuité des services normalisés d’aide à la prise de décisions en fonction du temps, à l’un quelconque ou à la totalité des modes de transport de surface interreliés: aéroports, installations portuaires, équipements fluviaux et lacustres, réseaux routier et ferroviaire. |
Cerner le défi
Pour que la prestation intégrée de services atteigne un degré viable, il faudra accomplir des progrès sur le plan des observations météorologiques, des outils d’analyse et de l’utilisation de ceux-ci, perfectionner les modèles de prévision du temps, uniformiser les pratiques entre les modes de transport et modifier les habitudes au sein des prestataires d’information comme des parties prenantes. Une démarche graduelle serait sans doute préférable – dont la première étape pourrait être de procurer à l’ensemble du secteur la même connaissance de la situation lorsque surviennent des phénomènes à fort impact. On s’attaquera ensuite aux difficultés qui surgissent aux points de jonction entre les différents modes (intégration multimodale) et entre les différentes parties prenantes. Il s’agira sans doute de l’étape la plus importante et la plus délicate de la démarche.
On pourrait commencer à cerner le défi que représente l’intégration multimodale en choisissant un groupe d’utilisateurs précis, assez bien établi. Il sera ainsi plus facile d’élaborer la stratégie voulue pour définir, tester et recenser les meilleures pratiques qui seront appliquées plus largement. Le mieux serait de choisir des utilisateurs qui perçoivent l’ampleur des impacts du temps et saisissent l’importance de la prestation de services météorologiques sans discontinuité aux différents modes de transport – le défi de la fourniture de bout en bout. Les prestataires de services mondiaux de logistique, les responsables des interventions d’urgence ou les exploitants de plates-formes intermodales pourraient être envisagés.
Les services intégrés qui seront offerts au transport terrestre dépendront également de l’affinement de certains outils et moyens, dont les systèmes de mesure des conditions atmosphériques et des conditions en surface, les techniques d’assimilation des données, les modèles de prévision numérique du temps et les méthodes de prévision immédiate à l’échelle locale. Par exemple, de meilleurs systèmes de mesure élargiraient la capacité de déterminer de manière automatique et précise la nature et le volume des précipitations qui atteignent le sol, l’épaisseur, l’intensité et la granularité du brouillard, etc. Le perfectionnement de la modélisation numérique du temps améliorerait la résolution spatiale et temporelle – et l’exactitude – de la prévision des conditions atmosphériques. La mise en parallèle des observations requises pour le transport de surface et pour les domaines d’application de l’OMM aiderait aussi à cerner les lacunes.
|
Les paramètres météorologiques: catégories de messages-avis et impacts sur les transports (d’après McGuirk M. et al., 2009) |
Stimuler les changements
Les changements attendus dans le domaine technique, culturel et climatique se répercuteront sur le modèle de prestation intégrée des services météorologiques. Nous indiquons plus bas quelques-uns des prestataires qui devront s’y intéresser de près. L’évolution rapide des technologies dans l’ensemble du système de transport devrait permettre d’affiner encore les services procurés aux gestionnaires comme aux usagers du secteur. Ainsi, les communications de véhicule à véhicule et de véhicule à infrastructure, qui font déjà l’objet d’essais, seront opérationnelles d’ici à dix ans. Les véhicules eux-mêmes seront équipés de capteurs et deviendront des plates-formes mobiles d’observation en temps réel permettant d’améliorer l’analyse et la prévision des conditions météorologiques.
Une révolution technologique est en cours dans le secteur routier. La mise au point de véhicules autonomes progresse rapidement. Certains véhicules de série sont déjà munis de systèmes semi-autonomes et plusieurs constructeurs ont annoncé qu’ils proposeront des modèles autonomes dans cinq ans. L’automatisation se traduit aussi par des stratégies de régulation de plus grande ampleur; dans la conduite en convoi routier par exemple, la distance entre les véhicules est gérée de manière à accroître la sécurité, la rentabilité et l’usage de l’infrastructure tout en réduisant les impacts sur l’environnement. Toutefois, l’équipement de détection – LIDAR, radar, radio, etc. – qui permet de transformer le secteur automobile est sensible aux paramètres environnementaux, qui nuisent à son efficacité. Il sera essentiel de bien comprendre et de limiter les effets des phénomènes extrêmes sur ces technologies, afin d’assurer la protection des usagers de la route. En revanche, les systèmes embarqués pourraient servir à recueillir des informations précieuses sur les conditions météorologiques et climatiques locales.
Parmi les autres nouveautés figurent les systèmes téléguidés d’observation du temps et du climat en mer et dans les airs. Leur multiplication devrait étendre considérablement notre capacité de connaître avec précision les conditions météorologiques et climatiques, surtout dans les zones difficiles d’accès avec des appareils de mesure classiques. On pourra ainsi obtenir rapidement et couramment un grand nombre de données sur l’état de la couche inférieure de l’atmosphère et sur les conditions à l’intérieur et au-dessus des océans. Ces observations aideront à mieux comprendre et prévoir les phénomènes météorologiques à fort impact qui nuisent aux transports terrestres.

Il est probable que l’on pourra accéder facilement et gratuitement à une multitude de flux de données aujourd’hui payants. Tout laisse supposer que les modèles de services en nuage amplifieront l’utilisation des données sur le temps et le climat. Les modes de communication changeront sûrement, d’une manière encore impossible à prévoir. Une chose est certaine: les informations météorologiques de tous types parviendront à davantage d’utilisateurs (dans le secteur public comme privé) à moindre coût.
L’élargissement de l’accès aux observations et aux moyens informatiques, allié aux progrès de la modélisation numérique, permettra d’améliorer sans cesse l’information météorologique et climatologique destinée aux utilisateurs finals. L’expansion de techniques telles que la recherche de données ou l’apprentissage machine conduira à mettre au point d’autres produits et services. Ceux qui concernent la communication des impacts du mauvais temps présentent un intérêt particulier pour de nombreux acteurs. Des possibilités nouvelles apparaissent dans ce domaine en conjuguant les produits météorologiques classiques (observations, prévisions, etc.) et les données auxiliaires sur le transport (circulation, débit, etc.). Les futurs produits et services axés sur les impacts donneront sans doute aux sociétés de transport et aux usagers de la route une bonne idée des effets probables de conditions météorologiques ou climatiques difficiles, favorisant ainsi des stratégies d’atténuation efficaces.
Contribuer à un effort mondial
L’OMM est consciente de l’importance que revêtent les services météorologiques et environnementaux connexes pour le transport terrestre; elle sait aussi le rôle que jouent les partenariats public-privé dans ce domaine. En juin 2015, le Dix-septième Congrès météorologique mondial a réaffirmé l’engagement de l’Organisation envers une approche globale de la prestation de services.
L’intégration complète des services météorologiques destinés au transport terrestre reste un immense défi; mais elle pourrait constituer une étape décisive vers la réduction des effets du mauvais temps sur le secteur, par la hausse de la sécurité et de la rentabilité alliée à la baisse des pertes économiques. Ce ne sera pas chose facile. La démarche sera sans doute graduelle, formée d’une série de petits pas plutôt que de grands bonds en avant. L’OMM, par l’entremise de ses programmes et des SMHN de ses Membres, sera appelée à jouer un rôle de chef de file en la matière.
En définitive, le but est de procurer des services qui répondent aux besoins des exploitants comme des utilisateurs du secteur des transports et qui garantissent la sécurité, l’efficacité et la rentabilité des activités à l’échelle mondiale, nationale, régionale et locale.
En définitive, le but est de procurer des services qui répondent aux besoins des exploitants comme des utilisateurs du secteur des transports et qui garantissent la sécurité, l’efficacité et la rentabilité des activités à l’échelle mondiale, nationale, régionale et locale. Il est intéressant de savoir que l’Organisation mondiale de la santé a déclaré que la décennie 2011-2020 serait celle de l’action pour la sécurité routière; nul doute que l’intégration de la prestation des services météorologiques au transport terrestre contribuerait notablement à cet effort mondial.
Authors
WMO Expert Task Team - Kevin R. Petty, Paul Bridge, Walter F. Dabberdt, Vaisala; Thomas Frei, Private consultant, Arni, Switzerland; Pekka Leviakangas, VTT Technical Research Centre; Pertti Nurmi, Finnish Meteorological Institute
WMO Secretariat - Tang Xu, Director, Weather and Disaster Risk Reduction Service Department
Footnotes
1 Meteorological service delivery is highly standardized for enroute flight operations while service delivery for (ground) terminal operations is not.
2 National Research Council, 2010.