La chaleur et la sécheresse inhabituelles qui règnent cet été dans certaines zones de l’hémisphère Nord font s’embraser champs et forêts, de l’Arctique à la Méditerranée et sur la côte ouest de l’Amérique du Nord. Ces incendies ont fait des dizaines de victimes et dévastent des régions étendues. Ils ont de profondes répercussions sur l’environnement, les écosystèmes, la santé humaine et le climat.
Ces incendies ont la particularité de s’être déclenchés dans des zones où ils sont rares, telle la Scandinavie. Grâce aux progrès technologiques réalisés dans le domaine des satellites, il a été possible de les suivre plus précisément qu’auparavant.
Outre la menace directe de combustion, les incendies sont dangereux parce qu’ils libèrent des polluants qui nuisent à la santé humaine et aux écosystèmes. La fumée représente un risque pour la santé parce qu’elle contient un mélange de gaz dangereux et de petites particules qui peuvent irriter les yeux et le système respiratoire. Les effets de l’exposition à la fumée et de son inhalation vont de l’irritation des yeux et des voies respiratoires à des troubles plus graves, notamment la réduction de la fonction pulmonaire, la bronchite, l’aggravation de l’asthme et le décès prématuré. Selon l’Organisation mondiale de la Santé, l’exposition aux particules constitue la principale menace pour la santé publique découlant d’une exposition à court terme à la fumée provoquée par des incendies de forêt.
Les incendies de végétation libèrent de grandes quantités de particules et de gaz toxiques dans l’atmosphère, y compris du monoxyde de carbone, des oxydes d’azote et des composés organiques non méthaniques, que les nombreuses stations de la Veille de l’atmosphère globale s’attachent à mesurer de façon approfondie. Les mesures ainsi obtenues sont essentielles pour les prévisions, la recherche sur la composition atmosphérique et la mise au point des systèmes d’alerte.
Pour des prévisions des risques d’incendie à l’échelle mondiale, cliquer ici.
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Feux de forêt et changement climatique
C’est le nord de la planète qui se réchauffe le plus vite. La chaleur assèche les forêts et les rend plus susceptibles de prendre feu. Selon une étude récente, les forêts boréales se consument à un rythme jamais atteint depuis au moins 10 000 ans.
Dans son cinquième Rapport d’évaluation, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat a indiqué que la fréquence et l’étendue des feux de forêt en Europe du Sud avaient augmenté significativement après les années 1970 en raison de l’accumulation de matières combustibles, du changement climatique et des phénomènes météorologiques extrêmes. Toutefois, dans l’ensemble de la région méditerranéenne, la superficie brûlée totale a diminué depuis 1985 et le nombre de feux de forêt a baissé entre 2000 et 2009. Il est néanmoins prévu que le risque de feux de forêt augmente en Europe du Sud.
Les feux de forêt libèrent du dioxyde de carbone dans l’atmosphère, ce qui accroît le changement climatique. Par exemple, pendant la saison sèche 2015, qui a été plus longue et plus sèche que la moyenne en raison d’El Niño, environ 3 millions d’hectares ont brûlé en Indonésie et l’on estime que les incendies qui ont eu lieu en septembre‑octobre 2015 jusqu’à ce que la saison des pluies commence ont produit environ 11,3 téragrammes (1012 grammes) de CO2 par jour. À titre de comparaison, la combustion de matières fossiles dans l’Union européenne est responsable du rejet quotidien de 8,9 téragrammes de CO2 par jour.
D’après une nouvelle étude de la NASA, les gigantesques incendies canadiens de 2014 ont ravagé presque 3 millions d’hectares de forêt et rejeté plus de 103 millions de tonnes de carbone dans l’atmosphère – l’équivalent de la moitié de ce que les plantes et les arbres du Canada absorbent en un an.
Le Système mondial d’assimilation des incendies (GFAS) du Service Copernicus de surveillance de l’atmosphère (CAMS) assimile les observations de l’énergie radiative des incendies recueillies par des capteurs satellitaires pour estimer quotidiennement les émissions produites par la combustion de la biomasse. Le graphique ci-dessous présente, pour le cercle polaire, une comparaison des séries chronologiques d’émissions journalières totales de CO2 dues aux feux incontrôlés et des émissions journalières moyennes de 2003 à 2017. Il ressort que les émissions de CO2 sont supérieures à la moyenne dans le cercle polaire pendant les incendies.
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Émissions journalières totales de CO2 dues aux feux incontrôlés dans le cercle polaire en juillet au regard des émissions journalières moyennes pour la période 2003-2017 (Estimation réalisée par le Système mondial d’assimilation des incendies (GFAS) du Service Copernicus de surveillance de l’atmosphère (CAMS))
@m_parrington, 23 July
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Dans sa pureté, le milieu arctique est particulièrement fragile et se réchauffe plus vite que les autres régions. Lorsque des particules de fumée se déposent sur la neige et la glace, ces dernières absorbent le rayonnement solaire au lieu de le réfléchir, d’où une accélération du réchauffement de l’Arctique. De plus, les incendies arctiques augmentent le risque de dégel supplémentaire du pergélisol, qui libère du méthane, un autre gaz à effet de serre.
Feux de forêt et conditions météorologiques à fort impact
La fréquence des feux de forêt dépend largement de la variabilité naturelle de notre climat, y compris les précipitations et le vent, ainsi que d’autres facteurs sans lien avec le climat.
La végétation sèche et les températures élevées ne sont pas les seules causes de propagation des incendies. La direction du vent et la vitesse du vent sont un autre facteur important. Sur les terrains montagneux en particulier, des systèmes de vent très localisés peuvent propager les incendies dans certaines vallées ou même leur faire escalader les montagnes voisines. Le feu modifie ensuite lui-même les vents localisés car une zone en feu est plus chaude que les zones environnantes et c’est cette différence de température qui est la principale cause d’échange d’air, à savoir de vent.
Pour prévoir les conditions de vent et leur évolution sous l’effet du feu, il est nécessaire de disposer d’un modèle qui représente fidèlement l’orographie et la végétation de la région concernée et de l’alimenter avec des données précises sur les conditions de vent. Il n’est pas facile d’obtenir de telles données car les conditions de vent près d’un feu n’ont un impact que sur une petite zone et elles peuvent donc ne pas être détectées par la station météorologique la plus proche. Ainsi, prévoir le comportement et la propagation d’un incendie est très problématique.
Les feux de forêt font partie des cinq dangers étudiés dans le cadre du Projet de recherche sur la prévision des conditions météorologiques à fort impact (HIWeather). D’une part, ce projet porte sur l’amélioration des capacités de prévision de la propagation et de l’impact des feux actifs ainsi que sur les capacités de prévision des risques d’incendie. D’autre part, il vise à améliorer la communication et l’exploitabilité des alertes précoces, lesquelles jouent un rôle crucial dans la prise de décisions en lien avec les interventions d’urgence, à savoir les évacuations et la lutte contre les incendies.
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Feux de friches dans les régions extratropicales
Arctique (Sibérie et Suède)
Les incendies ont déjà ravagé plus de 90 000 hectares, d’après les estimations, en Sibérie et dans l’Extrême-Orient russe. Fin mai, en Iakoutie, les lacs étaient encore gelés, mais le feu a succédé à la glace à la faveur d’une vague de chaleur persistante en Sibérie: la zone touchée couvre une superficie de quelque 60 km2, selon le Service Copernicus de surveillance de l’atmosphère (CAMS), qui relève de l’Union européenne.
Pendant les deux premières semaines de juillet, la fumée émise par les incendies observés sur le territoire de la République de Sakha, en Fédération de Russie, a parcouru 9 500 km jusqu’à la côte ouest du Groenland, après être passée par l’océan Arctique, l’Alaska et le nord-ouest du Canada. Ce long trajet avait été prévu par le CAMS cinq jours à l’avance (voir le site https://atmosphere.copernicus.eu/news-and-media/news/cams-monitors-long-range-transport-siberian-wildfire-smoke).
C’est la deuxième fois en deux mois que des feux de friches de grande ampleur se sont déclenchés dans le nord-est de la Fédération de Russie. Les derniers en date sont clairement visibles sur les images satellitaires, où l’on voit la fumée qui recouvre une zone d’environ 2 000 km de large.
La fumée émise par les feux de friches en Sibérie, à plus de 6 000 km de distance, ont atteint cette semaine certaines régions du nord-est des États-Unis.
Plus de 50 incendies de forêt ont éclaté dans toute la Suède, l’un des pires épisodes de ce genre qu’ait connu le pays. À ce jour, l’été en Suède s’est révélé exceptionnellement chaud et sec, le déficit pluviométrique atteignant des valeurs record par endroits dans le sud du pays. Dans l’extrême nord, la station météorologique Kvikkjokk-Arrenjarka, située à la même latitude que le sud du Groenland et le nord de l’Alaska, a enregistré une température de 32,5 °C, soit un record de chaleur pour cette station.
En Suède, sur les 20 dernières années, la superficie brûlée chaque année par les feux de forêt est d’environ 1 900 hectares en moyenne. En 2014, un incendie a ravagé à lui seul 13 800 hectares, et on en parlait alors comme étant peut-être le pire que le pays ait connu depuis le XIXe siècle. Or, la superficie brûlée par les incendies de 2018 dépasse à ce jour 30 000 hectares, ce qui a amené l’Union européenne à prendre des mesures d’urgence.
Europe méridionale
La saison des feux de forêt a été très intense dans le sud de l’Europe en 2017 à cause de la sécheresse et des températures supérieures à la normale. En revanche, le printemps et le début de l’été de 2018 ont été marqués par des températures inférieures à la normale et une pluviosité relativement élevée.
Attisés par des vents violents, des incendies ont fait des dizaines de victimes près d’Athènes la nuit du 24 juillet, ce qui constitue l’une des pires tragédies que la Grèce ait connues depuis plusieurs années. Le 23 juillet, le mercure a atteint 38 °C environ par un fort vent d’ouest.
Amérique du Nord
Aux États-Unis, le Centre national inter-agences de lutte contre les incendies (NIFC) a déclaré que le risque d’incendie dans le pays, le 27 juillet, était de 5 sur une échelle de 1 à 5, et que le 29 juillet, 90 incendies de grande ampleur avaient dévasté près de 405 000 hectares répartis sur 14 États. Cette saison intense n’épargne aucune région à l’exception de l’Est, chose très inhabituelle pour un mois de juillet. Dans plusieurs États, le temps chaud et sec a favorisé le déclenchement de vastes incendies de forêt largement incontrôlables dans le Nevada, l’Oregon et l’Idaho ainsi qu’en Californie, et dans de nombreuses villes de l’Ouest, les habitants ont dû quitter leur maison. Le Service météorologique national a annoncé le 30 juillet que des températures supérieures à 100 °F (38 °C) conjuguées à une faible hygrométrie ne manqueraient pas d’aggraver la situation en Californie sur le front des incendies.
On trouvera des renseignements détaillés sur les feux de forêt aux États-Unis sur le site d’InciWeb (Incident Information System).
Analysant les statistiques relatives aux incendies sur la période 1984-2011, les chercheurs ont mis en évidence une tendance à la hausse en ce qui concerne le nombre d’incendies de grande ampleur qui sont observés chaque année dans l’ouest des États‑Unis et/ou la superficie totale couverte par ces derniers. Cette évolution est particulièrement sensible dans le sud et dans les régions de montagne, où elle coïncide avec une tendance à l’aggravation de la sécheresse. Toutes écorégions confondues, le nombre d’incendies de grande ampleur s’est accru au rythme de sept par an, et la superficie qu’ils couvrent au rythme de 355 km2 par an.
La hausse des températures moyennes a entraîné l’assèchement des forêts dans l’ouest du pays et, par voie de conséquence, un risque d’incendie accru. Rien qu’en Californie, on compte 129 millions d’arbres morts. Sur l’ensemble du territoire de cet État, le nombre d’incendies est en diminution, mais la tendance est inverse pour ce qui est de leur ampleur.
Non seulement le changement climatique accroît le risque de feux de friches dans certaines régions du pays, mais il réduit aussi à néant des décennies de lutte contre la pollution de l’air dans ces mêmes régions, selon une étude publiée dans les actes de l’Académie nationale des sciences. Cette étude révèle que les incendies de forêt engendrent un pic de pollution atmosphérique dans l’ouest.
Pour tâcher de mieux comprendre la chimie et la propagation des incendies de forêt, des scientifiques explorent en avion les brouillards de fumée engendrés cet été par les feux de forêt dans l’ouest du pays. Surnommé WE-CAN, pour Western Wildfire Experiment for Cloud Chemistry, Aerosol Absorption and Nitrogen, le projet fait intervenir une équipe de scientifiques provenant de cinq universités et du Centre national de recherche atmosphérique (NCAR). Ces scientifiques se sont donné pour mission d’étudier de façon systématique et sous toutes ses facettes la chimie des fumées émises par les incendies de forêt. L’objectif est triple: il s’agit de mieux connaître la quantité et les types d’azote réactif présent dans les panaches de fumée, de quantifier les émissions de particules fines et d’étudier leur évolution ainsi que les propriétés optiques de la fumée et, enfin, de déterminer l’influence des particules de fumée sur la formation et le comportement des nuages liquides et des nuages glacés.
Le Canada n’est pas épargné par les feux de forêt: en date du 24 juillet, on dénombrait 55 foyers actifs dans le nord-est de l’Ontario et 77 dans le nord-ouest. "Des équipes sont venues en renfort des autres régions du Canada et même du Mexique pour lutter contre les incendies dans le nord-est de la région", a indiqué le Ministère des ressources naturelles et de la foresterie de l’Ontario.
Réseau de la Veille de l’atmosphère globale (VAG) de l’OMM
Les mesures effectuées par les stations de la VAG servent à vérifier les résultats du modèle utilisé par le CAMS pour analyser et prévoir, à l’échelle du globe, les émissions provenant des feux de friches et de la combustion de la biomasse. Le centre régional de l’OMM pour l’Asie du Sud-Est et le Service météorologique de Singapour ont commencé à mettre en place un système régional d’avis et d’alerte concernant la pollution par la fumée et les incendies de végétation (VFSP-WAS). L’OMM et ses partenaires ont rédigé une note d’orientation sur ce système, où l’on trouve les recommandations formulées par les experts qui ont participé à un atelier international sur la prévision des émissions causées par les incendies de végétation et de leurs incidences sur la santé humaine et la sécurité en Asie du Sud-Est. Motivée par le vif intérêt manifesté par plusieurs pays des régions concernés, la note en question fournit des indications sur la manière de faire face à ce type de pollution. Elle propose la mise en place d’un système d’avis et d’alerte dans ce domaine et préconise la création de centres régionaux spécialisés dans cette thématique.