Nuages et régimes de circulation à grande échelle
Les images satellite de notre planète, dans le spectre visible ou infrarouge, font presque toujours apparaître des nuages alignés ou répartis le long des grands tourbillons ou turbulences de la circulation atmosphérique. En animant des images fixes de nuages, il est possible de reconstituer clairement ces mouvements circulatoires. Serait-il toutefois possible que le processus de formation des nuages et les systèmes nuageux, plutôt que de résulter des circulations à grande échelle et de les révéler, influencent ou même déterminent celles-ci?
Nous savons que les nuages sont soumis à des processus de condensation et d'évaporation et qu'ils interagissent avec le rayonnement solaire ou infrarouge tout au long de leur cycle individuel de formation, de développement et de dissipation. En outre des mouvements ascendants et descendants se forment à moyenne échelle à l'intérieur des systèmes nuageux. Ces processus thermodynamiques et dynamiques pourraient bien exercer une influence sur les transports de chaleur et de vapeur d’eau et favoriser les ondes et les turbulences, perturbant les conditions locales tout en corrigeant la situation atmosphérique à grande échelle. Par ces effets locaux ou éloignés, les nuages influent sur la stabilité hydrostatique atmosphérique, le cisaillement du vent et les gradients méridionaux de température.
Nous pouvons donc présumer que les nuages ont une incidence sur la structure, l'emplacement et l'ampleur des perturbations de petite échelle telles que les cyclones tropicaux ou extratropicaux, de même que des phénomènes observables à l’échelle de l’hémisphère, tels que les courants-jets des latitudes moyennes. Pour comprendre l'impact régional ou planétaire d'un climat plus chaud et plus humide, nous devons améliorer notre capacité à décrire et à interpréter la relation de cause à effet entre les nuages et les mouvements de circulation. La compréhension que nous en avons actuellement est très appréciable, mais néanmoins limitée, en particulier dans quatre grands domaines.
Enjeu No 1: convection et sensibilité aux conditions climatiques
La sensibilité de notre climat – à savoir l'élévation de la température entraînée par l'augmentation des concentrations atmosphériques de dioxyde de carbone – reste l'une des plus importantes questions, au plan intellectuel comme économique, pour la recherche en climatologie. De récents travaux ont permis de répartir les facteurs ayant un impact sur le climat en deux catégories: celle des facteurs qui sont connus et fiables et celle des facteurs qui sont moins bien compris. La rétroaction nuageuse est un phénomène très important de la seconde catégorie. Si certains aspects de la rétroaction nuageuse ont été expliqués, notamment ceux qui sont liés à l’étendue verticale de nuages volumineux ou aux nuages de la couche limite au‑dessus de l’océan, les influences réciproques entre nuages et convection dans le climat actuel et le climat à venir demeurent un mystère fondamental. L'incertitude qui plane autour de la rétroaction nuageuse tient pour une large part au manque de précision qui caractérise actuellement le traitement du mélange par convection dans les modèles. Le problème de la convection doit être analysé de manière systématique, sur la base d'observations de meilleure qualité et d'une série de modèles (allant des plus complets aux plus centrés sur la convection) ciblés sur des conditions maritimes calmes et des mesures à distance de la vapeur d’eau dans les basses couches troposphériques. Si les chercheurs se concentrent sur la question de la convection, d'importants progrès pourront être réalisés. Or, du fait de l'interaction considérable entre la rétroaction nuageuse et la sensibilité du climat, toute avancée sera très profitable.
Enjeu No 2: trajectoires des tempêtes
Bien que nous sachions que les nuages dont la trajectoire est déviée par des tempêtes exercent une influence sur les gradients de température à l'origine de celles-ci, nous commençons tout juste à comprendre les mille et une manières dont les nuages interagissent avec les trajectoires des tempêtes. Ces trajectoires étant de relativement grande envergure, elles se prêtent particulièrement bien à des méthodes de modélisation hiérarchiques, à l'échelle du nuage comme à l'échelle planétaire. Ces méthodes pourraient nous aider à mieux comprendre l’influence conjuguée et interactive qu’exercent les processus humides, les systèmes frontaux, les interactions avec les circulations océaniques et les effets radiatifs des nuages sur le développement des tempêtes et la structure de leur trajectoire.
Avec l'affinement des modèles et de nos connaissances, il devrait être de plus en plus facile de reconstituer les paléoclimats notamment pour évaluer l’influence possible de la modification des trajectoires des tempêtes sur le cycle hydrologique général par le passé. Une meilleure compréhension de la dynamique actuelle et passée de la trajectoire des tempêtes nous permettra de mieux prévoir les changements à venir.
Enjeu No 3: zones de précipitation tropicale
Le forçage du climat, qui conduit à des modifications de la force, de la largeur ou de l'emplacement des zones de précipitation tropicale, fait presque assurément intervenir la rétroaction nuageuse. Par de complexes influences réciproques entre le forçage et la rétroaction, des processus nuageux localisés entraînent des modifications de circulation à l'échelle de l'hémisphère ou de la planète qui, à leur tour, influencent l'emplacement et l’intensité des zones de précipitation. Par exemple, la circulation à moyenne échelle induite par convection semble influencer l'étendue des moussons en direction des pôles, tandis que la circulation à l'échelle planétaire peut étendre l'influence des zones de précipitations jusqu'à des zones extratropicales éloignées. Par une conjonction similaire de processus thermodynamiques locaux et de processus dynamiques de grande ampleur, des sources de chaleur aux latitudes élevées peuvent induire le déplacement de zones de pluies tropicales sur de longues distances.
Selon les modèles climatiques actuels, un déficit de nébulosité sur l'océan Austral réchauffe l'intégralité de l'hémisphère Sud, entraînant un excès de précipitations aux tropiques et une zone de convergence intertropicale trop forte dans l'hémisphère Sud. Des facteurs similaires liés aux nuages contribuent à expliquer pourquoi le refroidissement d'un hémisphère par des aérosols ou une expansion de la nappe glacière pousse les bandes de pluies tropicales vers l'hémisphère opposé. Modéliser ces processus nuageux et les connections nuage-circulation nous permettra non seulement de comprendre les modifications passées de la position et de l'intensité des bandes pluvieuses, mais aussi de prévoir les évolutions futures. Une bonne modélisation exigera dans ce cas de coordonner l'application d'une hiérarchie de modèles pour analyser des hypothèses définies, en se fondant sur les modifications passées qui ont été attestées.
Enjeu No 4: Agrégation
Nous savons que les nuages et les processus de convection qui leur donnent naissance tendent à s'agréger et à se structurer et que leur structure peut jouer un rôle dans la dynamique du système climatique. Des simulations récentes, reflétant des conditions idéales, ont démontré que la convection peut entraîner une agrégation spontanée en l'absence de facteurs extérieurs, ce qui a amené à définir le concept d'auto-agrégation de température. Des simulations de nuages suggèrent que l'auto-agrégation pourrait être favorisée par une élévation de la température. Par ailleurs, des simulations fondées sur des modèles et des données d'observation donnent à penser qu'une augmentation de l'agrégation se traduit par une atmosphère plus sèche et plus claire, qui assure plus efficacement la transmission du rayonnement thermique dans l'espace. Ainsi, l'agrégation convective pourrait produire des effets rétroactifs sur les changements climatiques entraînés par d'autres facteurs et contribuer à des variations lors de phénomènes extrêmes.
Une structuration sur une zone allant de quelques dizaines à des centaines de kilomètres augmente la probabilité d'incidences de grande ampleur, tels que le lien susmentionné entre la rétroaction nuageuse et les zones de précipitation tropicales. À mesure que s'améliorent notre compréhension des phénomènes et nos compétences en matière de modélisation, des simulations novatrices nous permettront d'explorer les processus d'agrégation dans des modèles de grande échelle, ainsi que d'explorer les processus de désagrégation dans des modèles à maille fine. Ces outils et ces méthodes d'investigation seront nécessaires pour évaluer les incidences de l'agrégation de la convection nuageuse sur le climat.
Convection et circulation dans le contexte des nuages
Comme on le voit dans ces quatre domaines, les nuages ne jouent pas seulement le rôle de traceur d'une atmosphère turbulente: ils abritent aussi des processus qui peuvent agir très directement sur la circulation et sur le climat. Chaque exemple fait apparaître la relation intime et complexe entre les nuages, la convection et la circulation à plus grande échelle, où les nuages et la convection sont les facteurs les plus déterminants.
Compte tenu de la forte dépendance des régimes climatiques régionaux et des conditions extrêmes à l’égard de la circulation à grande échelle, il est important que les chercheurs en climatologie s'efforcent de comprendre tant l’influence des nuages et de la convection sur la dynamique atmosphérique que l’évolution probable de ces effets à mesure que la troposphère devient plus chaude et plus humide, la stratosphère se refroidit et la cryosphère se contracte. Pouvoir anticiper l'évolution du climat exige avant tout de mieux comprendre les interactions entre les nuages, la circulation et la sensibilité du climat.
Récente photographie diurne de la région des Caraïbes illustrant la grande diversité des caractéristiques et de la configuration des nuages au-dessus de l’océan et des terres.
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Authors
Sandrine Bony, Université Pierre et Marie Curie
Bjorn Stevens, Institut Max Planck de météorologie
David Carlson, Directeur du Programme mondial de recherche sur le climat (PMRC)